Salut la compagnie. En ce mois de novembre, difficile de passer à côté du nec plus ultra des événements à la la voile, aussi appelé « l’Everest des mers », c’est le Vendée Globe bien sûr (et non pas le vent des globes).
Dimanche 10 octobre, pas moins de 40 navigateurs (dont 6 navigatrices…) se sont lancé·es pour un tour du monde en solitaire, sans escale, ni assistance, à bord de leurs voiliers monocoques IMOCA de 18,28 mètres de long. Alors déjà, on les salue, car il faut du courage pour vouloir s’enfermer 75 jours (dans le meilleur des cas) dans une boîte en carbone à l’effet d’une machine à laver aussi grande qu’une chambre de bonne à Paris.
On reconnaîtra que les organisateurs ont eu le sens du timing. Nous, on a trouvé ça osé de planifier un départ pile entre la fin de la 16ème conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP16) et l’ouverture de la 29ème conférence mondiale sur le climat (COP29). D’ailleurs, la légende dit qu’ils espéraient avoir une fenêtre de tir médiatique entre ces deux événements, mais ça c’était avant de se rendre compte que malgré l’augmentation des catastrophes climatiques, les médias mainstream continuent de se foutre royalement des COP…
En tout cas, nous, ça nous a donné la joyeuse envie de creuser l’impact environnemental de cette course, et c’est pourquoi on s’est renseigné sur ce que pousse La Vague Asso.
« Il suffirait de quelques évolutions des règles du jeu pour faire entrer le Vendée Globe dans une ère vraiment durable, tout en valorisant l’esprit d’aventure et la compétition sur l’eau. »
Amaury Guérin
Ce qu’on retient de nos échanges et recherches, c’est qu’il existe bel et bien des efforts qui vont dans le bon sens. Quelques skippers comme le néo zélandais Conrad Colman ou le français Sam Goodchild, essaient de mixer performance sportive et engagements environnementaux. L’organisation aussi fait des progrès avec notamment 10 engagements environnementaux permettant par exemple d’embarquer du matériel scientifique à bord de 25 bateaux pour collecter des données sur les océans. Néanmoins, on ne va pas se mentir, il reste encore du boulot pour faire entrer cette course dans une ère vraiment durable. D’ailleurs le navigateur Stan Thuret le rappelle : « le bilan carbone de la course au large se situe entre celui du Tour de France et celui des 24 Heures du Mans ». On est donc bien loin du mythe d’un sport sobre et écolo.
Mais bon, ne perdons pas espoir, des solutions existent et le collectif La Vague compte bien les faire entendre. Parmi leurs propositions : encourager la rénovation des anciens bateaux plutôt que la construction de nouveaux bateaux au bilan carbone quasiment quatre fois plus élevé qu’il y a dix ans ; réduire la vitesse des bateaux et supprimer les foils pour diminuer les risques de collisions avec des cétacés (voir ce bel article de Vert sur le sujet). Et enfin, en finir avec les injonctions contradictoires sur le village-départ, entre d’un côté, des sponsors qui utilisent l’épreuve pour verdir leur image, et de l’autre des communications encourageant à protéger les océans et la planète (cf cet article de Reporterre ou l’on comprend comment ces multinationales qui nous vendent de la xxxxx « entre dans nos têtes par effraction »).
Hyundai, Charal, Macdo, Air Caraïbes !!! On vous voit, et il serait grand temps que vous arrêtiez de prendre les bateaux pour des panneaux publicitaires flottants…
Tout un programme, non ? En tout cas, nous ça nous plaît, et comme le dit si bien la militante écosocialiste Corinne Morel Darleux, parfois il vaut mieux savoir couler en beauté, que flotter sans grâce.
5 Questions à…, où la rencontre d’un·e sportif·ve en carrière ou retraité·e, qui comme nous, pense qu’un autre sport est possible.
Catherine Chabaud, Depuis mon passage au Parlement européen, je suis persuadée qu'il y a des solutions collectives à trouver.
Première navigatrice à avoir terminé le Vendée Globe, journaliste et ex-députée européenne, Catherine Chabaud est engagée depuis 20 ans pour la préservation de la mer et du littoral.
C’est quoi ta vision d’une pratique sportive écolo et stylée ?
C'est surprenant comme question. Hmmm. Pour moi, c’est une pratique qu’on fait dans la nature. C’est aller nager en mer plutôt qu’en piscine, même si la piscine est à côté de chez soi. C’est privilégier l’éco-conception et la sobriété, plutôt que l’accumulation de matériels. Par exemple, quand j'ai arrêté la compétition, j'ai travaillé sur un projet de bateau éco-conçu avec des matériaux biosourcés. On l’appelait « le voilier du futur ». Pas mal, non ?
Mais, ce que je trouve vraiment « stylée », c’est finalement quand on fait des actions écolo et qu’on ne les revendique pas comme telles. Quand elles ne sont pas un argument de vente, mais simplement du bon sens. Pendant mon premier Vendée Globe en 96, il n'était pas obligatoire d'avoir un moteur à bord. J'avais donc un groupe électrogène, deux éoliennes et deux panneaux solaires pour produire de l'électricité. Sauf que, bien avant la moitié du chemin, j'ai chaviré… Mon groupe électrogène est tombé en panne, mes éoliennes se sont cassées, et je me suis retrouvée avec un seul panneau solaire… Je peux te dire que quand j’ai réussi à réparer mes éoliennes, j'étais la reine du pétrole (rires). Ça m'a forcé à naviguer en extrême sobriété. Je coupais tout, les instruments de navigation, la lumière, tout ce qui consommait de l'énergie. Et tu vois, je n’ai jamais mis en avant le côté « écolo » de cette aventure.
Quel est ton souhait pour l’avenir de la course au large ?
Ce que je souhaiterais avant tout, c’est que les gens se mobilisent collectivement, car ça fait quelques années que je vois beaucoup d'initiatives individuelles émerger, mais trop peu d'initiatives collectives. En 2022, j’ai suggéré à la Fédération Française de Voile d’organiser des Assises de la course au large. On l’a fait, c’était super, mais il faut que ça se perpétue et qu’on rassemble les skippers et leurs partenaires pour prendre des décisions ensemble.
Je souhaiterais également qu’on arrête de mettre les vieux bateaux au rebut. Avec mon mari, on a racheté pour une poignée d’euros le bateau de mon premier Vendée Globe. Il était abandonné sur les quais de La Rochelle depuis 8 ans et allait partir à la casse comme tout un tas de vieux bateaux épaves. On l’a fait restaurer et ça nous a permis de courir l’un après l’autre la Route du Rhum 2018 et 2022, dans la catégorie réservée aux vieux voiliers. Il serait bien que d'autres courses offrent cette possibilité et qu’on arrête de construire trop de nouveaux bateaux, même si cela soutient les chantiers navals. Il y en a déjà tellement dont on ne sait plus quoi faire.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de lier l’écologie à ta pratique ?
En 1991, lors de ma première transatlantique en solitaire, j'ai été profondément bouleversée de voir des déchets flotter au milieu de l'Atlantique. Pourtant, j’avais l’habitude d’en voir dans les fonds marins lors de mes plongées, ou sur le littoral. Mais là, en pleine mer, personne n’en parlait… C’est à ce moment que j’ai compris que j’étais une partie du problème. Alors, pour devenir une partie de la solution j'ai commencé par m'intéresser aux solutions existantes en faisant des documentaires et en soutenant les actions d’associations qui avaient besoin de médiatisation. J'ai ensuite fondé des ONG, participé au Grenelle de la mer en 2009-2010, où j'ai présidé l'un des groupes de travail, puis occupé un poste de déléguée ministérielle. Des expériences qui, couplées à plusieurs sollicitations, m’ont amené à m'engager en politique en tant que députée européenne. Je voulais trouver des accélérateurs de passage à l’action. Aller au-delà des rapports et mettre en place des solutions opérationnelles pour financer des projets de restauration des écosystèmes où qui accélèrent la décarbonation du transport maritime.
Depuis mon passage au Parlement européen, je suis plus européenne que jamais. Si la situation est grave, je suis persuadée qu’elle n’est pas désespérée et qu’on a des solutions collectives à trouver. Pleins de gens agissent, il faut les soutenir.
Pourquoi le sport est politique ?
Si par politique on entend l’idée de proposer une vision et un chemin pour atteindre des objectifs, alors le sport s’inscrit pleinement dans cette démarche. Il nous accompagne tout au long de notre vie et peut être porteur de valeurs fortes. En particulier les sports de plein air, qui selon moi, proposent une autre façon de se relier au monde.
Une recommandation de film, de livre ?
J’ai une admiration sans borne pour quelques scientifiques : Pierre Mollo et ses travaux sur le plancton, Gilles Boeuf et ses conférences sur la mer. Ou encore Françoise Gaill, grande dame de l'océanographie française qui a écrit L'océan à découvert avant de lancer l’International Panel for Ocean Sustainability (IPOS), une sorte de GIEC de l'océan à destination des dirigeants. C’est grâce à elle que j’ai lancé récemment avec le CNRS un appel pour que l'océan soit reconnu comme un bien commun de l'Humanité. On y défend qu'il n’y a qu'un seul océan et qu'au regard des services écosystémiques qu'il rend à l'humanité, il faut le préserver.
Pour notre nouvel encart, 5 Questions à… on adorerait interroger Léon Marchand, qui nous a bien fait rire avec son tweet clownesque à l’égard d’Emmanuel Macron 🤡. Un filon pour nous aider à le contacter ?
En vrac
Vous vous souvenez de Yann Borgnet, notre guide de haute montagne amoureux des lignes horizontales et invité del’épisode 2 du podcast ? Il organise prochainement un raid anthropologique intitulé « bistrots des hautes vallées : à saute-mouton pour vivre l’hospitalité des hautes vallées valdôtaines ». Avec un titre pareil, nous, on est conquis. Si l’aventure vous tente, c’est → ici.
Sinon, le 27 novembre Protect our winters (POW) organise sa prochaine convention POWpulaire : est-ce qu’il faut encore s’occuper des glaciers ? C’est gratuit, en ligne, et ils donneront la parole à Jean-Baptiste Bosson dont vous pouvez retrouver notre interview → ici. Foncez.
Et enfin, on vous recommande la lecture du dernier Panard, Au large et caetera… dont on a particulièrement aimé l’histoire un peu folle de Mickaël YanYou, roi du Kung-fu et premier occidental ordonné moine à Shaolin.
C’est tout pour ce mois de novembre
À bientôt et n'hésitez pas à partager cette infolettre à vos ami·es & à nous laisser des commentaires en répondant directement à cet e-mail, on lit tout !
Clothilde Sauvages
Avec Sylvain, nous sommes les auteurs du podcast Vent Debout, qui remet le sport à sa place politique. Retrouvez ici nos entretiens, nos décryptages, nos événements ainsi que les actualités du monde sportif qui se bouge.