Une série pour changer nos représentations sportives. Chapitre 1 : Repenser la performance avec Olivier Hamant
Derrière les images, les récits et les belles histoires sportives se construisent bien souvent des imaginaires et des représentations. Ces derniers créent un sens commun et une certaine vision du sport moderne. Une manière dominante de penser le sport, de lui affilier des symboles, des « valeurs » supposées, et des termes qui le définissent.
Reste que ces imaginaires sportifs ne sont pas immuables. Ce sont des constructions collectives qui s’adaptent à la société et occultent les récits alternatifs plus en marge. Le sport business versus le sport amateur, c’est David contre Goliath. L’un représente la norme selon laquelle on envisage le sport moderne. L’autre tente tant bien que mal, d’exister dans un paysage politico-médiatique dominé par le premier.
Alors, pour inverser la tendance et trouver des bifurcations qui nous permettront d'évoluer dans nos représentations sportives, nous nous intéresserons à ces mots, concepts, images et symboles qui définissent le sport business d’aujourd’hui pour en montrer les limites. C’est l’objet de cette nouvelle série de publications intitulée Abécédaire pour un autre sport, dont le premier chapitre est dédié à l’une des notions les plus fondamentales pour le sport moderne : LA PERFORMANCE.
Ha ! Ha ! Ha !
Cette phrase restée dans les annales, que l’on attribue (par erreur) à Pierre de Coubertin, en dit long sur notre rapport à la performance. Car oui, remise dans son contexte, l’idée est bien belle. « (…) l’important dans la vie ce n’est point le triomphe, mais le combat, ce n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu ». Comment être en désaccord ? Comment refuser l’idée du fair-play, au-delà du vocabulaire guerrier ?
Malheureusement, la réalité du sport d’aujourd’hui est tout autre. Rappelons-nous le coup de pression d’Emmanuel Macron aux athlètes, à la sortie des Jeux de Tokyo : « Les résultats sont là, mais des progrès restent possibles. (…) Le bilan n’est pas au niveau, il est même mitigé (…) On doit faire beaucoup plus, beaucoup plus ».
Soyons honnêtes, l'idée selon laquelle l'important serait de participer sonne vraiment aujourd'hui comme une phrase de loser. Et pour cause, l’injonction à la performance est probablement l’une des caractéristiques les plus marquantes du sport moderne. Il faut l’optimiser, l’améliorer, développer son potentiel maximal pour atteindre les sommets de la gloire sportive. Être performant techniquement, physiquement et psychologiquement. Faire des trails, publier ses temps sur Strava, devenir conférencier en « mindset de champion ». Bref, il faut remporter des victoires.
Sauf que… Ce concept de performance est de part en part remis en cause dans les milieux écologiques et sportifs. Et pour cause, cette fameuse performance se fait bien souvent au détriment des athlètes eux-mêmes ainsi que du vivant, qu'il soit humain ou non humain.
Et c’est pourquoi il est grand temps d’en questionner les fondements et la pertinence. Éclairage.
Olivier Hamant est chercheur en biologie et biophysique, ainsi que directeur de l'Institut Michel-Serres. Il est l'auteur de l'ouvrage Antidote au culte de la performance ? La Robustesse du vivant (publié chez Gallimard), dans lequel il dénonce notre obsession pour la performance, qu'il définit comme une voie étroite et dangereuse face au dérèglement socio-écologique de plus en plus prégnant. Selon lui, il est urgent de promouvoir un modèle de société guidé par la recherche de la robustesse plutôt que par la recherche de la performance. Il a gentiment pris le temps de répondre par écrit à nos questions pour faire le lien entre es travaux de recherche et le monde du sport.
Olivier Hamant
Oui, bien sûr. Le culte de la performance conduit en effet les jeunes sportifs à se blesser, à se doper, à souffrir de problèmes de santé mentale et à faire des dépressions quand leur carrière s'arrête. Sur le plan social, ce culte de la performance alimente les paris sportifs et le blanchiment d'argent, ce qui favorise une criminalité rampante. Enfin, sur le plan écologique, le culte de la performance nous pousse à organiser des sports d'hiver dans des lieux toujours plus chauds, à construire des stades climatisés à l'air libre et à produire une multitude de dérivés commerciaux souvent très toxiques pour les écosystèmes et la société… Continuer sur cette voie dans le sport, c'est de la folie. Bien sûr.
Il s'agit en effet de la même définition. La performance c'est la somme de l'efficacité (atteindre son objectif) et de l'efficience (avec moins de moyens). Lorsqu'on donne la primauté à la performance dans le sport, on atteint son objectif, mais on manque tous les autres aspects. C'est toxique pour soi-même et pour les autres. Il y a bien des moments de performance justifiés, par exemple lors d’un sprint, mais le problème, c'est le culte de la performance : on ne s'arrête plus, ça vire à l'obsession, à l'addiction et on se détruit.
La performance peut avoir d'autres sens, comme dans le milieu de l'art, par exemple, où elle se définit plutôt comme « l'art de bien faire ». Il faudrait que la performance sportive revienne à cette définition, qui suppose cependant de définir le « bien » du « bien faire ». En un mot, on « fait bien » quand nos pratiques prennent soin de notre robustesse (personnelle, sociale et écologique), c'est-à-dire quand elles entretiennent la viabilité de nos systèmes.
Nos activités doivent être au service de la robustesse, tant de nous-mêmes que des autres, humains et non-humains. Cela implique de revoir largement l'enseignement sportif (par exemple, en formant des sportif·ves à d'autres activités, comme l'art, pour qu'iels trouvent un meilleur équilibre de vie), mais aussi de célébrer la performance sportive différemment, en mettant l'accent sur le partage, le travail d'équipe, plutôt que sur le star système, les rémunérations astronomiques ou l'idéalisation du self-made man, qui reste un mythe coriace.
L'adaptation n'est pas une impasse en ce sens : il s'agit bien de prendre en compte le fait que notre environnement va changer et qu'à court terme, on n'y peut plus rien. Par contre, il ne faut pas en rester là. L'adaptation annonce un désastre et ne permettra pas de se mobiliser ou d'ouvrir des chemins viables. Une fois qu'on a compris qu'on ne pourra pas contrôler notre environnement, parce qu'il deviendra de plus en plus fluctuant, alors on bascule de l'adaptation à l'adaptabilité. Il s'agit alors de se tourner vers la robustesse, c'est-à-dire de diversifier, d’explorer et d’expérimenter. Autrement dit, d’aller ni plus ni moins à l'encontre de l'injonction de performance (souvent canalisante) pour nourrir la robustesse. Élargir l'espace de viabilité, et s'ouvrir à d'autres destinations et d'autres destins.
Dans ce domaine, la robustesse consisterait à privilégier le sport amateur plutôt que le sport de compétition. C'est faire le choix de l'équité et de la justice sociale plutôt que des podiums où l'on ne sait plus si l'on célèbre de grands footballeurs ou des multimillionnaires. C'est faire rêver avec l'esprit d'équipe et ringardiser l'individualisme. C'est une école où on s'entraîne dans la nature, et non dans des stades aseptisés ou des greens synthétiques bourrés de produits chimiques toxiques. C'est comprendre que le sport est un outil de santé préventive quand il est dans la fenêtre de la robustesse et une source de désordres physiologiques quand il en sort. C'est un sport qui célèbre de nouveaux anneaux olympiques, comme l'infini grec, pour jouer à l’infini (en modifiant les règles et le nombre de joueurs pour permettre la poursuite de la partie) plutôt que d'incarner un jeu fini (où les règles et le nombre de joueurs sont fixés dans le but de gagner).
Enfin, c'est un sport où l’on se dépasse grâce aux autres, au lieu de chercher à dépasser les autres.
Remettre en question l’injonction à la performance dans le sport, ce n’est pas la première fois qu’on s’y colle. La preuve : l’un de nos épisodes de podcast est dédié à ce sujet. On l’a sobrement intitulé « Plus vite, plus haut, plus fort », en référence à la devise des JOP qu’il faudrait selon nous revoir complètement. Il a été enregistré avec l’alpiniste Yann Borgnet et l’historien du sport Michaël Attali pour tenter de répondre à la question suivante : le sport sans performance est-il possible ? Et si oui, comment s’en affranchir ?
Dans son tout récent livre La Loi du plus sport (publié chez JC Lattès), Valentin Sansonetti, ancien tennisman et entraîneur, revient sur les processus de sélection (et d’exclusion) à l’œuvre dès le plus jeune âge dans de nombreuses disciplines sportives, pour montrer en quoi la quête de performance qui régit l’ensemble de la structuration fédérale en vient à dessiner les contours d’un sport violent, capitaliste et bourgeois, loin des « belles valeurs » qu'il est prétendument censé défendre.
Un livre important, qui révèle les limites de l’organisation pyramidale du système fédéral, fondée avant tout sur la recherche de « talents » et la compétition. Et qui jamais ne s’interroge ni sur les désirs des enfants, ni sur les violences psychologiques que ces mécanismes induisent pour les grands perdants des processus de sélection (comme pour les gagnants d’ailleurs).
Un sujet qui rappelle les travaux de l’ancienne athlète d’athlétisme Emma Oudiou, qui désormais œuvre contre les violences qui persistent dans le sport, et qui, bien souvent, restent considérées comme « tolérables » au nom de la sacro-sainte performance. On vous conseille son compte insta !