Nettoyage social lors des JOP : « je dois dire qu’au départ ils nous ont vendu du rêve ! »

Le bilan définitif est brutal : 20 000 personnes ont été expulsées de la région Île-de-France lors des JOP. Pourtant, les promesses initiales du comité olympiques étaient tout autres. Qu'est-ce qui a mal tourné ? Rencontre avec Paul Alauzy, porte-parole du Revers de la médaille

Vent Debout
7 min ⋅ 08/01/2025

Le Revers de la médaille, c’est le collectif dont vous avez sûrement entendu parler en cette année olympique. Réunissant une centaine d'associations qui interviennent auprès de publics précaires, dont Médecins du monde, le Secours catholique et la Fédération des acteurs des solidarités, ce collectif a dénoncé le nettoyage social provoqué par Paris 2024.

À l’occasion de la publication de leur rapport final annonçant entre autres l’expulsion de 20 000 personnes de la région Île-de-France, nous nous sommes entretenus avec Paul Alauzy, porte-parole du Revers de la médaille et salarié chez Médecins du monde.

Vous avez été le caillou dans la chaussure de ces JOP. Vous attendiez-vous à un tel écho médiatique ?

C’est vrai que c’était dingue. Nous avons été au cœur de nombreuses enquêtes et interviews, où souvent, c’était notre parole contre celle des ministres et des préfets. Des pans entiers de la société civile se sont mobilisés à nos côtés : des chercheurs, des militants, des musiciens d’orchestres nationaux et même des parents d'élèves qui étaient inquiets que des familles dans leurs écoles puissent se faire expulser. Nous n’avons pas réussi à stopper ce qu’on appelle le « nettoyage social », mais nous sommes fiers car nous avons réussi à mettre ce sujet sur le devant de la scène et révélé l’hypocrisie des organisateurs. Dans un contexte où le contrat social est mis à mal depuis plusieurs années, je pense que le mouvement médico-social peut, malgré tout, sortir la tête haute de cette histoire.

Dans votre rapport final, vous indiquez que 20 000 personnes ont été expulsées d'Île-de-France lors des JOP. Vous attendiez-vous à un mouvement d’une telle ampleur ?

Mais alors, pas du tout. On est de grands naïfs. Au début, quand on regardait les valeurs mises en avant par les JOP - l'amitié entre les peuples, l’accueil, la solidarité - on se disait : « Super, c’est ce que nous défendons au quotidien dans nos associations médico-sociales, alors essayons de collaborer ». D’ailleurs, dans notre première lettre au Comité d'Organisation des Jeux Olympiques (COJO), nous proposions de nous associer aux Jeux pour les aider à tenir leurs promesses en matière d’héritage social et d’inclusion. C’était notre force : nous incarnions l’idéal social dont ils se vantaient.

Et je dois dire qu’au départ ils nous ont vendu du rêve ! Ils ont évoqué l’idée de monter un projet phare avec nous, en citant comme exemple la dépollution de la Seine, qui semblait jusqu’alors impossible. Quand la première réunion s’est terminée, j’étais certain que c'était gagné. Je pensais qu’ils allaient débloquer la situation avec les préfectures et le ministère de l’Intérieur, d’autant plus qu’il y avait un enjeu de réputation sur la scène internationale. On pensait que les Jeux allaient être le levier qui permettrait de sortir des politiques fascisantes d'exclusion des publics précaires.

« Notre plus grande force était d’incarner cet idéal social dont ils se vantaient »

Que souhaitiez-vous mettre en place ? 

Quand on a commencé à comprendre comment les Jeux allaient se dérouler, on a vite réalisé que l'enjeu majeur était l’accès à l’espace public, pour assurer la sécurité, faire circuler la flamme, gérer les flux touristiques, organiser les épreuves, etc. Or, c’est précisément dans ces espaces que vivent les gens que nous aidons. Leur vie sociale comme leur travail en dépendent. Face à cette mise en concurrence, la solution la plus simple pour nous, comme pour les autorités, était donc d’extraire ces personnes de ces espaces. Et ça, vraiment on le comprend car après les attentats de Munich en 72 et d’Atlanta en 96, évidemment que la sécurisation des Jeux est un besoin. Personne ne souhaite qu’une attaque terroriste se produise. Mais là où nous nous différencions, c’était sur la manière de faire. Tandis qu’ils voulaient opter pour des mesures de tri, d’exclusion et de violence pour les pousser à partir, nous avons réclamé une prise en charge digne, avec un budget et des solutions d’hébergement pérennes.

Concrètement, nous demandions l’ouverture de 20 000 places d’hébergement, alors qu’elles n’en avaient prévu que 250 - essentiellement pour les personnes les plus précaires situées à proximité des sites olympiques, dans le 15e et 16e arrondissements.

250 places, c’est peu sachant qu’il y a plus de 3500 sans-abris dans Paris…

C’est d’autant plus frustrant qu’ils auraient pu faire mieux. Nous avons fait les calculs : pour ces 250 places de grande qualité et pérennes, ils ont dépensé 8 millions d'euros. Cela veut dire que pour 3 500 personnes, le budget aurait été d'environ 112 millions d'euros. Ça peut sembler beaucoup, mais comparé au coût global des Jeux - 13 milliards d'euros - c’est moins de 1% du budget total. Autrement dit, pour moins de 1% du budget des Jeux, ils auraient pu mettre en place une politique sociale sans précédent. Être le premier pays à prendre en charge les sans-abri de la ville d’accueil. Cela aurait pu changer l’histoire des JOP et permettre à des milliers de personnes de vivre dans de meilleures conditions.

« On pensait que les Jeux seraient le levier qui permettrait de sortir des politiques fascisantes d'exclusion des publics précaires »

Mais alors, pourquoi un tel revirement de situation ? Que s’est-il passé ?

Il faut savoir que toute la politique envers les publics pauvres et marginalisés est définie par l'appareil d'État français. Emmanuel Macron en est le garant et le ministère de l'Intérieur, à l'époque sous Gérald Darmanin, en est le responsable. Les préfets, eux, l’appliquent. Ce que l’on montre dans nos rapports, c’est que l’ensemble de cette chaîne ne voulait absolument pas changer les choses. Au contraire, ils se sont servis des Jeux pour exacerber leurs pratiques d'exclusion sociale, grâce au déploiement de tout un arsenal législatif : loi anti-squat, nouvelle loi immigration, circulaire des SAS (les fameux centres de tri comme à Orléans pour envoyer les exilés loin de l’IdF et traiter ailleurs leur demande).

Avec les équipes du COJO, on a senti que les choses n’avanceraient plus pendant la quatrième et dernière réunion. Plusieurs de nos demandes étaient restées sans réponse, et ils nous ont dit quelque chose comme : « On est désolé, mais on est dans la saison des noix de coco. Tout le monde pensait que les Jeux allaient changer la société, mais désormais on se retrouve avec des noix de coco sur les bras que personne ne sait gérer. » Quand la vie des gens à la rue est réduite à une noix de coco, tu sais que c’est terminé…

As-tu de la colère à l'égard de l’organe Olympique ?  

Je trouve que ce serait un peu trop facile de tout réduire à un rejet des Jeux en tant qu’événement capitaliste dans lequel il n’y a rien à sauver. Ce raccourci est trop simpliste. Bien sûr, il y a des aspects éminemment critiquables, mais tous les parti-prenants ne sont pas contaminés par le capitalisme marchand. Nos interlocuteurs étaient par exemple de bonne foi et sincèrement préoccupés par les questions que nous soulevions. Et puis, il y a un aspect un peu fascinant avec la « machine » olympique : c’est que tout semble possible, vu l'ampleur des enjeux et les sommes déversées. C’est étrange, car après tout ce qu’il s’est passé, je devrais sans doute les détester, mais je continue de penser que si les JOP existent, c’est aussi pour faire bouger les choses. Dans « Power Games: A Political History of the Olympics » de Jules Boykoff, j’ai par exemple découvert qu’en 1964 et 1968, un groupe d’athlètes sud-africains a réussi à faire exclure leur pays des Jeux en raison du régime de l’Apartheid, en invoquant le principe de non-discrimination qui est au cœur de l'Olympisme. Des histoires comme celle-ci montrent que, parfois, les Jeux peuvent aussi être un vecteur d’évolution.

Néanmoins, il faut vraiment que les futures éditions trouvent un meilleur équilibre entre les impératifs de sécurité et les enjeux environnementaux et sociaux.

« On peut aimer le sport et vibrer au rythme de nos athlètes préférés, sans pour autant être anti-pauvres et anti-migrants »

Le Revers de la médaille ne s’est jamais positionné comme « anti-JO », si ?   

Non jamais. C’était une ligne directrice très claire dès le début. Nous savions pertinemment que nous ne pouvions pas empêcher l’organisation des Jeux à si peu de temps de l’événement. Nous étions une goutte d’eau face à cette machine colossale. Mais aussi parce qu'il y avait des membres dans notre collectif qui aiment le sport et qui avaient envie de suivre les JOP voire d’y aller. J’en connais un qui a même un tatouage des anneaux olympiques sur le bras (rires). Nous voulions que notre message soit audible du grand public, et pas seulement des militants parisiens anticapitalistes. Je viens d'un petit village de 200 habitants dans les Vosges, où parents et proches bossent à l’usine. Quand ils rentrent le soir, je comprends qu’ils aient envie de regarder le saut en hauteur sans se sentir coupable. Notre message principal était donc de dire qu'il est possible d’aimer le sport et de vibrer pour ses athlètes préférés, sans pour autant être anti-pauvres ou anti-migrants.

Ce qui est tragique, c’est que de nombreuses personnes exilées et déplacées ont également suivi les JOP, n’est-ce pas ?

Beaucoup de personnes exilées ont entre 20 et 30 ans. Ils kiffent le sport, et rêvent de devenir footballeurs. Donc oui, ils étaient nombreux à nous dire qu’ils suivaient les Jeux sur les réseaux. Je me souviens d'une femme, en situation irrégulière, qui vivait dans un squat du 93, qui m’a dit :

« Ah moi pendant les JO je suis restée ici [dans le squat], je ne suis pas sortie dans Paris. Il y avait trop de contrôles et moi je n'ai pas les papiers. Qu'est-ce que je vais faire si la police me trouve ? Alors j'ai regardé sur Facebook et tiktok. Surtout la cérémonie d'ouverture. Aaaah c'était beau, ils ont fait une belle fête ! On a beaucoup aimé. Aya Nakamura c'était vraiment trop bien. »

Il y a aussi un vendeur à la sauvette soudanais, que j’ai rencontré sur un campement près du périph’. Il regardait un match de basket des JO. En discutant avec lui, j’ai vite compris qu'il avait faim car ça faisait 10 jours qu’il n’avait pas bossé à cause des contrôles de police. J’ai été frappé de voir à quel point Paris semblait être devenue une ville paradis pour les « blancs, bobo » qui ont accès à l'espace public, et absolument inhospitalière pour les autres.

Pourquoi n’avez-vous pas organisé d’actions pendant les Jeux ?

Le moment où nous nous sommes le plus rapprochés du moteur olympique, c’était pendant le passage de la flamme à République. Nous avons lancé une action depuis un balcon pour perturber l’événement en présence de personnalités politiques comme Amélie Oudéa Castera et Tony Estanguet. C’était drôle car les gens ont cru que nos fumigènes faisaient partie du spectacle. C’était l’une de nos forces : allier campagne de plaidoyer et méthodes militantes inspirées de groupes comme Act Up, le Soulèvement de la Terre ou les mouvements Antifa. Mais suite à cette action, nous avons mis trois heures pour sortir de l’immeuble car cinquante policiers nous attendaient en bas. Ce jour-là, on a senti la pression de la répression. Cela nous a dissuadés de mener des actions pendant les Jeux, car les risques étaient élevés, notamment de finir en garde à vue ou d’être confrontés à des perquisitions à domicile. La police savait précisément qui participait à nos actions et qui gérait le mouvement. Or, notre objectif n’était pas de saboter les JOP, mais de dénoncer ses dérives et notamment le nettoyage social. On s’est donc arrêté après l’organisation d’une contre cérémonie d’ouverture.

Avez-vous des recommandations pour les prochains JOP ?

Nous avons rédigé un document intitulé Les 10 commandements du Revers de la médaille, dans lequel nous formulons plusieurs recommandations pour les futures éditions des JOP (Los Angeles, Brisbane, France 2030, etc.). La principale recommandation, c'est de commencer la mobilisation le plus tôt possible. Un an avant les Jeux, c'était presque trop tard, même si ça permet à plus de gens de s'engager, car le temps est compté. On recommande également de créer un collectif informel, décisionnaire, pour éviter de devoir passer par les chaînes de décisions de chaque association. Sans une autonomie du Revers de la médaille tant pour les décisions que pour les moyens financiers et humains, il aurait été impossible de mener une telle campagne. Imagine, devoir faire valider chaque action aux n+1 et n+2 de Médecins du monde (rires).  

Vent Debout

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Par Clothilde Sauvages

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