The Gaza Sunbirds : pédaler pour résister

Un article écrit par Pierre-Alexandre Lhotellier, journaliste pigiste, en partenariat avec Climax

Vent Debout
5 min ⋅ 02/10/2025

Quand le vélo devient un outil politique de résistance, ça donne les Gaza Sunbirds. Composée d’athlètes amputés suite à des crimes de guerre, cette équipe de paracyclisme incarne la résilience et la fierté de la Palestine en portant haut ses couleurs dans les compétitions internationales… et sur le terrain du conflit.

Lors des championnats du monde de paracyclisme de 2025 à Ronse (Belgique), Mohammed Asfour s'est classé 17e, juste derrière son camarade des Sunbirds Alaa al-Dali. Crédit : Llewellyn DeBelder (Koersmuseum).Lors des championnats du monde de paracyclisme de 2025 à Ronse (Belgique), Mohammed Asfour s'est classé 17e, juste derrière son camarade des Sunbirds Alaa al-Dali. Crédit : Llewellyn DeBelder (Koersmuseum).

Dimanche 31 août 2025. Alaa al-Dali et Mohamed Asfour enfourchent leur vélo et se préparent à entamer la course la plus importante de leur vie, aux championnats du monde de paracyclisme, à Ronse (Belgique). Sur leurs maillots, un petit oiseau bleu, un drapeau palestinien et un nom : les Gaza Sunbirds. Une course qui sonne comme une véritable consécration pour les deux athlètes gazaouis. Si tout semble aller pour le mieux sur la ligne de départ, entre les difficultés de financement, la situation humaine catastrophique à Gaza – largement aggravée depuis les attentats terroristes du 7 octobre 2023 – et l’inquiétude constante pour leurs proches resté·es sur place, leur parcours est loin d’être une promenade de santé.

Premiers coups de pédale

Retour sept ans plus tôt. En 2018. Alaa, du haut de ses 21 ans, est un des meilleurs cyclistes de Gaza et se prépare à représenter la Palestine aux championnats d’Asie, et même aux Jeux Olympiques de 2020 à Tokyo. Mais le 30 mars, tout bascule : alors qu’il participe à la Grande marche du retour – une manifestation pacifique pour commémorer la Nakba de 1948 et revendiquer le droit au retour des réfugié·es palestinien·nes expulsé·es –, Alaa se fait tirer dessus par un sniper israélien. Sa jambe droite doit être amputée, emportant avec elle toutes ses ambitions sportives : « J’avais l’impression d’avoir perdu tout espoir, comme si j’avais perdu ma vie et tout ce qui comptait », confie-t-il à CNN Sports. Mais Alaa n’a qu’une idée en tête : remonter en selle. Au prix de nombreuses chutes, il réapprend à faire du vélo avec une seule jambe, malgré les réticences de ses ami·es. La roue commence à tourner, et une idée folle anime Alaa : faire de son histoire une aventure collective en montant une équipe de paracyclisme. C’est ainsi qu’il fonde les Gaza Sunbirds en 2020 avec Karim Ali, aujourd’hui coordinateur international de l’équipe. Leur objectif ? Faire voler le drapeau palestinien sur la scène sportive mondiale et transmettre un message d’espoir pour tous les athlètes amputés suite aux crimes de guerre israéliens. Leur message ? « Vous nous avez massacrés, vous nous avez amputés de nos membres, mais vous n’avez pas pris notre détermination ni nos rêves », comme le clame Alaa dans le documentaire Cycling Under Siege in Gaza de la chaîne Al Jazeera.

« Sunbirds » : la symbolique derrière le nom

Le nom des Gaza Sunbirds vient du Palestine sunbird (« souimanga de Palestine »), un minuscule oiseau aux reflets bleus métalliques, endémique du Moyen-Orient et de l’Afrique subsaharienne. Emblème national de la Palestine depuis 2015, il est capable de survivre dans les milieux les plus hostiles, et est ainsi devenu un symbole de liberté et de résistance pour les Palestinien·nes. Un symbole qui dérange : depuis 2013, Israël tente de le rebaptiser en Orange sunbird, histoire de gommer le mot « Palestine » jusque dans les plumes. Échec cuisant. L’artiste Khaled Jarrar s’en est emparé, en a fait un logo pour un État de Palestine… que plusieurs services postaux étrangers ont bel et bien reconnu. Bref, derrière ce nom, les paracyclistes de Gaza roulent avec un emblème de résistance sur le dos.

Des bâtons dans les roues

La première année, une dizaine d’athlètes rejoignent les Sunbirds. La détermination est au rendez-vous, mais les caisses peinent à se remplir : il faut équiper et entraîner tout ce petit monde avec à peine quelques milliers de dollars. Acquérir le matériel spécifique pour les athlètes unijambistes devient un véritable parcours du combattant. Sans compter que la situation sanitaire et économique à Gaza leur met littéralement des bâtons dans les roues… Résultat : à la fin de la première année, il ne reste plus qu’un seul Sunbird. « La réalité est que la situation à Gaza est tellement instable que chacun de ces athlètes a dû arrêter l’entraînement pour une raison différente : complications médicales liées à l’amputation, manque d’argent, difficulté à trouver un emploi… », explique Karim Ali dans le documentaire Gaza Sunbirds : Against all odds de la chaîne turque TRT World. Malgré tout, l’équipe ne lâche rien et met la tête dans le guidon de la recherche de financement. Leur message d’espoir et de résistance finit par être pleinement entendu : les financements abondent et l’effectif grandit. En 2023, l’équipe compte 23 membres, avec tout le matériel nécessaire (vélos, équipement, uniformes assortis), cinq entraînements par semaine au programme, et même une équipe jeunes.

« Vous nous avez massacrés, vous nous avez amputés de nos membres, mais vous n’avez pas pris notre détermination ni nos rêves »

Le grand virage du 7 octobre

Juste après les attentats terroristes du 7 octobre 2023, la guerre asymétrique menée par Israël est d’une telle violence que parmi la vingtaine de membres des Sunbirds, plusieurs subissent des déplacements forcés un peu partout dans la bande de Gaza. Pour Karim Ali, qui gère l’équipe depuis Londres, le sentiment d’impuissance est insoutenable : « Regarder le génocide d’ici alors que l’équipe était là-bas a été l’une des expériences les plus révoltantes qu’on puisse imaginer », confie-t-il, toujours dans le documentaire de TRT World. Alors les Sunbirds rangent vélos et casques au placard, et enfilent une autre casquette : celle de para-bikers solidaires, en soutien aux civil·es de Gaza. « Lentement mais très sûrement, l’équipe est passée d’une équipe de paracyclisme à une équipe de distribution d’aide », explique Karim Ali. Leur première initiative a permis de distribuer une centaine de pains à la population gazaouie. Et la démarche cartonne sur les réseaux sociaux : likes, commentaires et messages de soutien affluent, et les collectes se multiplient. Au total, les Sunbirds ont réussi à collecter l’équivalent de 450 000 dollars d’aide, permettant de distribuer 120 tonnes de nourriture, 15 000 repas chauds, 33 000 dollars d’aide aux résident·es handicapé·es, 250 abris pour les familles déplacées, 22 vélos, des produits de soins pour bébés, des jouets pour enfants, et même d’installer des toilettes publiques et des points d’eau – le tout suivi par plus de 130 000 personnes sur Instagram !

Après le 7 octobre 2023, Alaa al-Dali et les Gaza Sunbirds ont initié des récoltes  d'aide à destination de la population gazaouie, mais aussi des distributions comme ici, en février 2024 à Rafah. Crédit : Mohamed Soleimane (Positive News).Après le 7 octobre 2023, Alaa al-Dali et les Gaza Sunbirds ont initié des récoltes d'aide à destination de la population gazaouie, mais aussi des distributions comme ici, en février 2024 à Rafah. Crédit : Mohamed Soleimane (Positive News).

Remonter en selle

La guerre en cours n’a toutefois pas envoyé les ambitions sportives des Gaza Sunbirds au tapis, bien au contraire : « Nous voulons utiliser le sport pour faire passer un message, nous voulons que le monde voie Alaa, Mohammed et toute notre équipe pédaler, et que cela pousse chacun à dire : assez de cette famine organisée, assez de ce génocide », revendique Karim Ali. En janvier 2024, Alaa reçoit un appel qui lui fait toucher du doigt son rêve : porter les couleurs de la Palestine lors d’une course internationale. Trois mois plus tard, trois Sunbirds – dont Alaa et Mohammed – obtiennent une autorisation exceptionnelle pour quitter Gaza en passant par l’Égypte, et représentent leur pays à la coupe du monde de paracyclisme à Ostende, en Belgique.

Revers de la médaille : une angoisse permanente pour le reste des Sunbirds qui poursuit les missions d’aide à la population à Gaza, et pour leurs familles restées sur place. « La peur ne me quitte jamais. Je fais des cauchemars pour la sécurité de ma famille et je vis dans l’angoisse permanente de perdre quelqu’un de nouveau », raconte Alaa à CNN Sports. Une peur qui n’est pas infondée : le 19 mai 2024, Ahmed al-Dali, cousin et coéquipier de Alaa, est tué par un bombardement israélien, laissant derrière lui ses trois filles et son fils. Pour Ahmed et pour la Palestine, Alaa reste déterminé : « Je m’efforcerai de porter le message d’Ahmed et de faire résonner sa voix avec la parole de Dieu lors des événements internationaux, autant que je le pourrai. Et nous le ferons aussi, collectivement, en tant qu’équipe », s’émeut-il.

Mohammed Asfour après la course aux championnats du monde de paracyclisme de 2025. Crédit : Llewellyn DeBelder (Koersmuseum).Mohammed Asfour après la course aux championnats du monde de paracyclisme de 2025. Crédit : Llewellyn DeBelder (Koersmuseum).

« La ligne d’arrivée était envahie de drapeaux, et tout ce qu’on entendait, c’était les chants “Viva Palestina” et “Free Palestine”, c’était vraiment bouleversant ! »

Free Palestine sur la ligne d’arrivée

En 2024, Alaa participe à plusieurs courses internationales : Italie, Kazakhstan… mais surtout aux championnats du monde de paracyclisme à Zurich (Suisse) au mois de septembre, devenant ainsi le premier athlète palestinien à y concourir. Son rêve est réalisé, et les Sunbirds continuent de porter leur message en racontant leur parcours sur les réseaux sociaux, et au travers des nombreux articles de la presse du monde entier qui leur sont consacrés. En mai 2025, Alaa et Mohammed décrochent une place historique dans le top 20 lors de la coupe du monde de paracyclisme en Belgique, et obtiennent leurs tickets pour les championnats du monde à Ronse, trois mois plus tard, le 31 août 2025. Sur la ligne d’arrivée, les deux athlètes palestiniens laissent leur marque dans l’histoire du paracyclisme et de leur pays, en se classant respectivement 16e et 17e. Au bout des 61,6 kilomètres de course, les deux Sunbirds ont été chaleureusement ovationnés : « Plus de 100 supporters étaient venus encourager les garçons et les soutenir. La ligne d’arrivée était envahie de drapeaux, et tout ce qu’on entendait, c’était les chants “Viva Palestina” et “Free Palestine”, c’était vraiment bouleversant ! », se réjouit Carina Low, responsable presse de l’équipe.

Prochaine étape pour les Sunbirds : le championnat arabe de paracyclisme en Iraq, en octobre 2025, et, bien sûr, les jeux paralympiques de Los Angeles en 2028 sont dans leur ligne de mire. En parallèle, le reste de l’équipe restée à Gaza poursuit ses projets d’aide sur place, notamment en faveur des personnes amputées et des jeunes cyclistes en situation de handicap. « Notre rêve pour l’avenir est de créer une école à Gaza où les gens pourront apprendre le cyclisme et se reconnecter avec leur corps », raconte Alaa. Entre exploits sportifs et missions d’aide aux civil·es, les Sunbirds font la fierté de leur coordinateur, Karim Ali : « Ce ne sont pas des victimes, ils défient tous les obstacles pour réaliser leur rêve. Ce n’est pas l’histoire de victimes, c’est l’histoire de héros. ».

En 2024, Alaa al-Dali devient le premier cycliste palestinien à concourir aux championnats du monde de paracyclisme de 2024 à Zürich (Suisse). Crédit : Alex Whitehead. En 2024, Alaa al-Dali devient le premier cycliste palestinien à concourir aux championnats du monde de paracyclisme de 2024 à Zürich (Suisse). Crédit : Alex Whitehead.


Cet article écrit par Pierre-Alexandre Lhotellier est à retrouver dans le dernier numéro de CLIMAX.

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Vent Debout

Vent Debout

Par Clothilde Sauvages

Vent Debout, c’est Clothilde Sauvages et Sylvain Paley. Nous sommes deux sportifs ayant pratiqué la compétition sur les circuits nationaux et internationaux. Tumbling, wakeboard et ski alpin. Mais dans le civil, nous avons d’autres casquettes : Clothilde est entrepreneuse indépendante, journaliste et alumni du collectif Ouishare. Elle passe une grande partie de son temps à monter des projets de société. Sylvain est réalisateur de production audiovisuelle et co-fondateur de Société Nouvelle, un collectif d’indépendants au service de l’intérêt général. Ensemble, nous nous sommes réveillés un matin en se disant qu’il serait intéressant que l’on tente de réunir ces deux facettes de nos vies.

Car dans le « tout est politique » que nous fréquentons au quotidien, le sport fait toujours exception. Pas assez sérieux ou pas assez intello ? On invite rarement les athlètes pour leur demander leur avis sur la réforme des retraites, les violences policières ou le dérèglement climatique.
Et pourtant ils et elles ont des choses à dire. C’est pour les entendre qu’est né Vent Debout.

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