Quand l'islamophobie gagne du terrain dans le sport

Réflexion à chaud sur l'actualité et principalement sur la boite de pandore qu'est la question du voile en France.

Vent Debout
4 min ⋅ 21/03/2025

« La laïcité ne se résume pas au fait de porter ou non le voile »

Et BIM ! La ministre des sports Marie Barsacq a osé répondre à Julien Odoul, député RN, lors d’un match, d’une audition à l'Assemblée nationale, mercredi 12 mars. Et elle a fait mouche ! Armée de courage, d’un bon sens républicain et de son guide « Laïcité et fait religieux dans le champ du sport : MIEUX VIVRE ENSEMBLE », la ministre a osé dire tout haut que le port du voile ne doit ni faire l’objet « d’amalgames » ni de « confusions ». Une prise de parole faisant suite à l’adoption par le Sénat, mardi 18 février, du texte de loi visant à interdire le port de signes religieux ostensibles dans les compétitions sportives. Un texte de loi raciste et anti républicain dont l’objet principal est d’interdire en instrumentalisant le sujet du hijab, le port de signes religieux lors des compétitions sportives et au sein des associations locales en France. Et qu’importe si cela se fait au détriment des ambitions de rendre la pratique sportive accessible à toutes et au prix du dévoiement de la loi de 1905.

Depuis, évidemment, la droite et l’extrême droite sont tout feu tout flamme : Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez, Marine Le Pen et maintenant François Bayrou… tous s’insurgent et invoquent le principe de laïcité comme fait fondamental. Des prises de position qui, une fois de plus, montrent à quel point les digues idéologiques entre la droite et l’extrême droite ont sauté. Mais surtout, qu’il en va pour chacun d’asséner sa libre interprétation de ce qu’est la laïcité.

Du coup, on s’est dit que c’était le bon moment pour remettre les points sur les i en allant nous référer à nos lois. Et ça tombe bien, puisque tout est déjà synthétisé dans ce fameux rapport.

Alors que disent nos lois ?


Déjà, que La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) de 1789 et la loi de 1905 garantissent la liberté de conscience, qui inclut la liberté religieuse. Ce qui suppose que chacun puisse exprimer, pratiquer, abandonner sa religion ou ne pas avoir de religion et inclut donc la liberté de croyance et la liberté de culte.

Ensuite, que la Convention européenne des droits de l’homme prévoit dans son article 9 la liberté de manifester sa religion ou ses convictions. Et que le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de rappeler que « le foulard (…) ne saurait être regardé comme un signe présentant par sa nature un caractère ostentatoire ou revendicatif, et dont le port constituerait un acte de pression ou de prosélytisme ».

Et enfin, que la laïcité, concept associé en France à la loi du 9 décembre 1905, est un système politico-juridique reposant sur la séparation entre les Églises et l’État et garantissant la liberté religieuse des individus. « Il ne s’agit pas d’un principe de limitation de la liberté religieuse, mais bien d’un concept qui garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs croyances ou convictions. Le principe d’égalité de traitement a précisément pour objectif d’empêcher des discriminations fondées sur l’appartenance réelle ou supposée à une religion et ne pourra pas justifier l’interdiction de port de tenues à caractère religieux ». Oh ba tiens…

Mais alors, qu’en est-il alors de ce fameux principe de neutralité dont tout le monde parle ? Et bien là encore, on se rend compte que la droite raciste et l’extrême droite doivent avoir quelques problèmes de dyslexie puisque ce principe ne s’applique pas aux citoyens, mais aux agents publics, titulaires, contractuels, stagiaires, élèves, dans l’exercice de leurs fonctions. En clair, ce que cela signifie dans le champ du sport, c’est que seuls les collectivités territoriales dans l’organisation et l’accès aux activités sportives, les dirigeants, arbitres, encadrants et membres des équipes de France des fédérations sportives agréées, sont concernés par ce principe de neutralité. Pour les autres, il en relève de leur LIBERTÉ de pouvoir manifester leurs convictions religieuses, sous réserve du respect de l’ordre public.

En souhaitant imposer toute forme de neutralité aux citoyens, les détracteurs de Marie Barsacq cherchent donc à inverser les principes et l’esprit de la loi de 1905 pour défendre une conception raciste de la société.

Détourner le principe de laïcité, une stratégie bien huilée pour légitimer une politique raciste et islamophobe

En interdisant le port du voile en compétition aux jeunes femmes musulmanes, il s’agit donc avant tout de restreindre leurs libertés individuelles et de dénaturer le principe de laïcité, si cher à la France. Une grande entourloupe que certains juristes n’hésitent pas à dénoncer, comme ici ou ici. Et qui nous rappelle, qu’il est urgent de ne rien céder face à la montée des pratiques discriminatoires intentées dans le sport et que le corps des femmes reste encore aujourd’hui une variable d’ajustement, puisqu’il en va du bon vouloir de chacun de nous habiller ou de nous déshabiller.

L’occasion pour nous de vous partager cet épisode ô combien précieux du podcast Kiffe ta race : De quoi le voile est-il le nom ? permettant d’entendre parler de ce sujet avec des personnes concernées, plutôt que par le biais de personnes blanches et bourgeoises qui projettent sur ce bout de tissus de nombreux fantasmes.

« Mon rapport avec le foulard, c’est un rapport avec le divin, avec Dieu. C’est l’aboutissement d’un cheminement spirituel. Je le porte depuis sept ans (…). C’est un choix mûrement réfléchi. Un vêtement qui me permet d’être en paix avec moi-même »

Nadiya Lazzouni, journaliste

Plutôt que de suivre l’exemple de la Fédération Française de Football (FFF), qui dès 2016 a banni « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse », alors que les instances internationales l’autorisent sans restriction depuis 2014, il serait donc plus judicieux de suivre l’exemple des Fédérations Françaises de Handball (FFH) et d’Athlétisme (FFA) qui autorisent la cagoule sportive, comme le précise cet article du Monde. Ou encore mieux, de suivre la ligne politique défendue par la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT) et l’Union française des œuvres laïques d'éducation physique (UFOLEP), qui n’interdisent tout simplement rien a priori. Mais encore faut-il du courage politique de la part des fédérations.

Une polémique qui nous énerve d’autant plus qu’elle en occulte les vrais problèmes. À savoir la question des communautarismes dans le sport et la montée des ultras dans les stades, comme ici à Villefranche où le groupe néofasciste Columna fait sa loi en toute impunité. Ou encore ici à l’Olympique lyonnais, où cris de singe et saluts nazis sont monnaies courantes.

Une tolérance à géométrie variable qui montre bien à quel point les fachos ont encore de beaux jours devant eux si la lutte ne s’organise pas pour redonner de la profondeur aux débats. Et c’est pourquoi on vous encourage à vous mobiliser et à ne rien lâcher. Tout n’est pas encore joué puisque la proposition de loi adoptée par le Sénat doit encore passer à l’Assemblée Nationale.

Et parmi les actions à porter de mains, on vous rappelle que ce samedi 22 mars est la journée internationale de lutte contre le racisme. Une occasion, comme le dit si bien Fatima Ouassak de défendre « l’égale dignité humaine, la liberté de circulation sans conditions, un horizon pour que tous les enfants puissent s’émanciper, vivre libres et heureux ». Alors zou, tous dans la rue pour construire la riposte.

Vent Debout

Vent Debout

Par Clothilde Sauvages

Vent Debout, c’est Clothilde Sauvages et Sylvain Paley. Nous sommes deux sportifs ayant pratiqué la compétition sur les circuits nationaux et internationaux. Tumbling, wakeboard et ski alpin. Mais dans le civil, nous avons d’autres casquettes : Clothilde est entrepreneuse indépendante, journaliste et alumni du collectif Ouishare. Elle passe une grande partie de son temps à monter des projets de société. Sylvain est réalisateur de production audiovisuelle et co-fondateur de Société Nouvelle, un collectif d’indépendants au service de l’intérêt général. Ensemble, nous nous sommes réveillés un matin en se disant qu’il serait intéressant que l’on tente de réunir ces deux facettes de nos vies.

Car dans le « tout est politique » que nous fréquentons au quotidien, le sport fait toujours exception. Pas assez sérieux ou pas assez intello ? On invite rarement les athlètes pour leur demander leur avis sur la réforme des retraites, les violences policières ou le dérèglement climatique.
Et pourtant ils et elles ont des choses à dire. C’est pour les entendre qu’est né Vent Debout.

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