Fatigués des éco-gestes ? C'est tout à fait normal. Des 70s aux JOP de Paris : 50 ans de culpabilisation. Carte blanche à Garance Bazin

Notre génération a été biberonnée aux éco-gestes. Ces injonctions, très présentes dans le monde du sport, sont parfois même financées par les sponsors les plus polluants. On fait le point avec Garance Bazin, doctorante et spécialiste du sujet à qui l’on a confié notre seconde carte blanche.

Vent Debout
5 min ⋅ 11/04/2025

Eco-gestes et désinformation : des années 1970 aux Jeux Olympiques, 50 ans de culpabilisation

Depuis plusieurs décennies, les éco-gestes, ces petits gestes en faveur de l'environnement, sont promus par de nombreuses campagnes de sensibilisation lancées par des associations et des entreprises. On pourrait donc penser que des gestes tels que trier ses déchets, éviter les dépôts sauvages ou limiter les abandons de mégots font désormais partie des habitudes bien ancrées des Français. Malheureusement nous sommes encore loin du compte, comme le souligne le journal Le Monde dans un article de juillet 2024 dans lequel on apprend que « plus d’un Français sur quatre jette ses déchets par la fenêtre de la voiture sur la route des vacances ». Soit 27% des gens, un chiffre qui atteint même 40% chez les moins de 35 ans.

Si les petits gestes sont régulièrement présentés comme essentiels, de nombreux jeunes expliquent traverser une phase de désamour concernant le tri des déchets, la limitation de certains produits comme la viande ou le poisson, ou la réduction de leur usage de l’avion. Les causes de ce découragement généralisé ? Un manque de confiance dans la finalité du tri, rendant donc leurs efforts inutiles, l’inaction des gouvernements, l’influence néfaste des lobbys pour limiter des mesures d'ampleur. Ou encore, la démesure du train de vie des plus fortunés, qui eux, n’hésitent pas à multiplier les voyages en jet privé et à anéantir en quelques minutes l’effet de plusieurs années d’éco-gestes.

Les JOP, ou l’illustration d’une supercherie à grande échelle

Ce sentiment de découragement, que l’on peut déplorer, me semble toutefois tout à fait compréhensible au regard des années de désinformation et de greenwashing auxquelles nous faisons face.

Prenons l'exemple des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Dans l’espace public, pouvaient s’observer cet été de nombreuses affiches produites par l’association Gestes Propres qui vantaient l’importance de mettre sa canette, son mégot ou son gobelet dans la bonne poubelle. Dans le même temps, Coca Cola, premier pollueur plastique mondial, et ce pour la sixième année consécutive et depuis le début de ces classements, s’affichait fièrement partenaire de ces JOP. Une supercherie d’autant plus grande que Coca Cola est l’un des financeurs de Gestes Propres, aux côtés de Danone Eaux, Cristalline, Nestlé Waters, Haribo ou Heineken, et que durant les festivités, ce partenaire à la marque rouge nous a fait assister à des scènes surréalistes. Souvenons nous des buvettes sur les sites olympiques où l’on ouvrait des bouteilles (en plastique) pour verser leur contenu dans des gobelets consignés (en plastique également), créant dans un élan de greenwashing deux fois plus de plastique pour continuer d’affirmer ne pas vendre de bouteilles à usage unique… Une situation ubuesque, même dénoncée par le journal Le Figaro, que l’on peut difficilement qualifier d’écologiste radical : « « C'est du gâchis » : ces bouteilles en plastique vidées systématiquement dans… des écocups aux buvettes des JO. »

« La stratégie est simple et éprouvée : nous faire croire que l’origine du problème n’est pas le plastique en lui-même, mais le fait qu’il soit mal jeté. »

Culpabiliser les consommateurs pour ne rien changer

L’histoire de structures comme Gestes Propres, créé et encore en partie financées par des industriels de l’emballage et du plastique, révèle l’ampleur du détournement d’attention qui est à l'œuvre ici.

La stratégie est simple et éprouvée : nous faire croire que l’origine du problème n’est pas le plastique en lui-même, mais le fait qu’il soit mal jeté. En d'autres termes, la responsabilité est transférée des producteurs vers les consommateurs. Un stratagème mis en place par les géants de l’emballage tels que Coca-Cola et qui remonte à 1971, date à laquelle les producteurs ont abandonné le système de bouteilles en verre consignées au profit du plastique à usage unique. Une époque qui a également vu l’apparition de la célèbre publicité : « Keep America Beautiful », produite par l’association du même nom. On y voyait un homme habillé en natif américain se promener dans un monde jonché de détritus, et se faire jeter aux pieds un sac de déchets par un automobiliste depuis la fenêtre de sa voiture. Cette phrase s’affichait alors: « People start pollution. People can stop it ». Une campagne dont l’objectif n’était pas de remettre en question le système de production responsable de déchets plastiques peu ou pas recyclables, mais bel et bien de détourner l’attention pour empêcher les gouvernements de légiférer, en se défaussant vers les consommateurs.

Que l’on ne s’y trompe pas. En finançant de telles campagnes, Coca-Cola n’a jamais eu l’intention de réduire son empreinte environnementale, mais bien de semer le doute. Dès les années 1970, Arsen Darney, ingénieur mandaté par l’entreprise, avait démontré que l’emballage le plus écologique pour leurs produits était la bouteille en verre consignée, pouvant être réutilisée une quinzaine de fois. Il mettait également en garde contre les conséquences environnementales dramatiques d’un passage au plastique. Évidemment, ce rapport ne sera jamais rendu public et la transition vers le plastique sera opérée. Un exemple qui montre bien que les industriels du plastique, comme ceux du tabac avant eux, étaient parfaitement conscients des conséquences de leurs choix, tant sur la santé publique que sur la catastrophe environnementale à venir.

« Les industriels du plastique, comme ceux du tabac avant eux, étaient parfaitement conscients des conséquences de leurs choix, tant sur la santé publique que sur la catastrophe environnementale à venir. »

Un enfumage qui continue aujourd'hui, comme l’a révélé le livre Les Plastiqueurs de Dorothée Moisan (2021) dans lequel on découvre qu’en 2019, alors que les cinquante plus grands producteurs de plastique annonçaient débloquer 1,5 milliard de dollars pour « ensemble en finir avec les déchets plastiques », ces derniers investissaient en parallèle 200 milliards de dollars dans de nouvelles usines pétrochimiques aux États-Unis. Soit un investissement 130 fois supérieur au premier…

Résultat, pas moins de « 90 % des Français jugent le consommateur responsable des déchets abandonnés » d’après un chiffre présent sur le site internet de Gestes Propres.

Faut-il en finir avec les écogestes ?

Si les publicités comme celle ci-dessus sont reconnues d'utilité publique, il devient urgent de reconnaître qu’elles adressent avant tout un problème marginal, celui de jeter ses déchets dans la poubelle. Il conviendrait plutôt de se concentrer sur la source du problème, à savoir la production, et/ou sur les éco-gestes ayant le plus grand impact en termes d'émissions de CO2 et de pollution, comme l’usage de l’avion ou l’achat de véhicules polluants. Or, ces actions restent curieusement absentes des campagnes de sensibilisation pensées avec les pouvoirs publics. Encore une fois, ces acteurs s’organisent pour nous faire croire que tous les éco-gestes se valent, alors qu'il faudrait trier et réduire ses déchets pendant 28 ans et 7 mois pour compenser un vol Paris-Bali (Le Monde). Un exemple qui montre bien à quel point ces campagnes sont le résultat de choix politiques : celui de cibler les pollutions les plus visibles plutôt que les plus impactantes ; et de maintenir la pression sur les citoyens plutôt que sur les entreprises qui continuent d’échapper au principe du pollueur-payeur.

Une fuite en avant qui, d'après le sociologue Jean-Baptiste Comby, arrange bien les concernés, puisque cela permet d’éviter de s'attaquer aux pratiques des classes les plus aisées et à nos fleurons nationaux, comme le secteur de l'aérien.

« Il faudrait trier et réduire ses déchets pendant 28 ans et 7 mois pour compenser un vol Paris-Bali »

Dans le sport comme ailleurs, il serait donc illusoire de croire que tous les éco-gestes ont le même impact, qu’il nous est possible de nous concentrer sur les uns tout en oubliant les autres, ou de faire reposer la responsabilité principalement sur les pratiquants plutôt que sur les sponsors et les producteurs. Se limiter à des actions symboliques et minimes serait une erreur, même si ces actions peuvent, dans certains cas, éveiller une prise de conscience. Continuons à agir ! Chaque initiative, aussi modeste soit-elle, est précieuse, mais il est crucial de renforcer la pression sur les industries responsables de la pollution de nos environnements pour amorcer un réel changement.


Garance Bazin

Vent Debout

Vent Debout

Par Clothilde Sauvages

Vent Debout, c’est Clothilde Sauvages et Sylvain Paley. Nous sommes deux sportifs ayant pratiqué la compétition sur les circuits nationaux et internationaux. Tumbling, wakeboard et ski alpin. Mais dans le civil, nous avons d’autres casquettes : Clothilde est entrepreneuse indépendante, journaliste et alumni du collectif Ouishare. Elle passe une grande partie de son temps à monter des projets de société. Sylvain est réalisateur de production audiovisuelle et co-fondateur de Société Nouvelle, un collectif d’indépendants au service de l’intérêt général. Ensemble, nous nous sommes réveillés un matin en se disant qu’il serait intéressant que l’on tente de réunir ces deux facettes de nos vies.

Car dans le « tout est politique » que nous fréquentons au quotidien, le sport fait toujours exception. Pas assez sérieux ou pas assez intello ? On invite rarement les athlètes pour leur demander leur avis sur la réforme des retraites, les violences policières ou le dérèglement climatique.
Et pourtant ils et elles ont des choses à dire. C’est pour les entendre qu’est né Vent Debout.

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