Red Star FC : déconstruire les Ultras

Rencontre avec Lénaïc Vilain, dessinateur, auteur de bande dessinée et supporter du club de foot le Red Star FC.

Vent Debout
9 min ⋅ 25/04/2025

« Le foot populaire, faut pas que ce soit juste un slogan. Un club, c’est pas une entreprise comme une autre et nous, bah on n’est pas des clients ».

Lénaïc Vilain est dessinateur et auteur de bande dessinée. Supporter du Red Star FC, le célèbre club de foot de la ville de Saint-Ouen, depuis 10 ans, il a récemment publié Tribune(s) : chroniques de gradins. Une BD dans laquelle il raconte avec humour les luttes menées par les Red Star Fans (le groupe d’ultras du stade Bauer), pour défendre un football populaire, à rebours des logiques marchandes du sport business. On s’est donc empressé de l’interroger pour qu’il nous parle de son expérience de supporter dans cet ancien club de la banlieue rouge et qu’il nous aide à déconstruire quelques idées reçues sur le milieu du supportérisme.

© Charlène YVES© Charlène YVES

Comment t’es venu l’idée d’écrire la bande dessinée, Tribune(s) ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser avec un tel titre, ce n’est pas lié à la montée du club en Ligue 2, car finalement, je ne parle pas beaucoup de sport dans mon récit. C’est suite à la destruction de la dernière tribune centenaire du stade Bauer que l’idée de raconter toutes les anecdotes et petites histoires liées à cette fameuse tribune m’est venue. Ce moment a marqué un tournant dans l’histoire du club, un changement d’ère que nous, les supporter·ices du Red Star, avons célébré lors d’une parade dans les rues de Saint-Ouen avec des torches et des banderoles. C’était hyper beau et ça représente sûrement mon meilleur souvenir avec le club.

Sans être passionnée de foot, j’ai tout de suite eu envie d’acheter un billet pour assister au prochain match du Red Star en lisant ta BD. C’est ça ton message : venez au stade, vous verrez, la vie de supporter c’est joyeux, festif et engagé ?

Je suis ravi que ça t’ait plu, car je ne voulais surtout pas que cette BD s’adresse uniquement aux passionnés de foot, aux membres du milieu des ultras ou aux supporters du Red Star. Je l’ai envisagé comme une occasion de déconstruire quelques idées reçues sur le milieu du supportérisme et des ultras, et d'en affirmer d'autres. Je voulais mettre en lumière la culture des tribunes, et plus particulièrement celle des Red Star Fans. Et puis, aussi faire connaître un peu le club, même s'il n’a pas besoin de moi pour ça.

« Je l’ai envisagé comme une occasion de déconstruire quelques idées reçues sur le milieu du supportérisme et des ultras, et d'en affirmer d'autres. »

Te serait-il venu à l'idée de faire une bande dessinée sur les ultras du PSG ?

Non, alors même que j’ai été supporter du PSG pendant plusieurs années. Mais le PSG est un club mondialisé qui a été confisqué à ses supporters, une « holding de divertissement » comme dirait Jean-Michel Aulas. Avec le Red Star, je voulais au contraire montrer ce qu’est un club de foot ancré, familial et local. Car même si je ne l’évoque pas beaucoup dans le livre, j'ai toujours été un fan de foot et de l’ambiance des tribunes. Quand j’ai emménagé à Saint-Ouen il y a 10 ans, c’était évident pour moi d’aller soutenir le club de la ville. Surtout qu’en tant qu'amateur, j’avais entendu parler du Red Star. Pas pour ses exploits sportifs, assez minces ces dernières décennies, mais pour son histoire associée à la banlieue rouge.

Ça change quoi d’être supporter du Red Star plutôt que du PSG ?

Le premier point, c’est sûrement l’aspect financier car un abonnement au Red Star c’est 60-80 euros par saison, alors qu’il faut compter plusieurs centaines d’euros pour le Parc des Princes. Ça ne donne pas le sentiment de devoir faire un sacrifice énorme, ni même de vivre un moment exceptionnel. C’est une approche du stade beaucoup plus familière et coutumière. Une semaine sur deux, on s'y rend à pied en quinze minutes. C’est facile. Il n'est pas nécessaire de poser une demi-journée pour être sûr de passer tous les contrôles de sécurité avant le coup d'envoi.

Sans faire une étude sociologique, qui sont les supporter·ices du Red Star aujourd'hui ?

Ôh, c'est bigarré comme tribune. Il y a les « habitués », avec un noyau d’historiques, comme Vincent, alias Darch, qui est le porte-parole de la tribune en charge des animations les soirs de match. Il venait déjà à Bauer avec son grand-père il y a 30 ans. D’ailleurs, iels sont nombreux comme lui à venir depuis qu’iels sont petits et à avoir vécu l’histoire du club à travers une transmission familiale. Puis il y a les autres : les habitants du 18e arrondissement de Paris, les personnes âgées qui ont connu l’époque de la banlieue rouge, celles et ceux qui sont arrivés par intérêt pour l’identité politique du club. Sans oublier les plus récents qui viennent profiter de l’ambiance du stade et qui sont souvent « un peu paumés », car iels sont les dernières victimes de la politique marketing du club visant à attirer de nouveaux publics (rires).

Comme tout le monde est le bienvenu dans la tribune Rino Della Negra, à condition de respecter le code et la culture, celle-ci change constamment. Elle évolue, à l’image des habitants de Saint-Ouen et des vagues successives de populations qui arrivent.

« C’est une approche du stade beaucoup plus familière et coutumière. Une semaine sur deux, on s'y rend à pied en quinze minutes. »

Ce club est connu pour sa culture de gauche, les supporters le sont-ils tout autant ?

Si la culture du club est bien ancrée à gauche, comme en témoignent les noms des résistant·es Bauer et Rino della Negra, je ne sais pas si tous les supporters se disent de gauche, au-delà d’une certaine sensibilité. Ce que j’observe, c’est qu’il y a des militants, des personnes que je retrouve en manif et qui, comme moi, sont des syndicalistes de SUD ou de la CGT. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde, et dans le stade, j’ai plutôt le sentiment que tous les courants de la gauche sont représentés jusqu’au socio-démocrates. Par contre, j’ai du mal à imaginer que des électeurs de Le Pen, de Sarkozy ou même de Macron puissent être parmi nous. Notamment parce qu'il y a une sorte de charte tacite qui nous relie toutes et tous dès lors qu’on entre dans la tribune Rino Della Negra : c’est l’antiracisme et l’antifascisme. Et ça, je crois que ça nous démarque d’autres tribunes moins progressistes.

Par exemple, je suis allé récemment dans une autre tribune ultra, et j’ai été surpris par le peu de femmes présentes, ainsi que par les innombrables insultes homophobes que j’ai entendues et qui semblaient tout à fait banales pour les supporters locaux. Sans être parfait, nous sommes tout de même un peu plus avancés sur ces sujets. Notamment parce que chez nous, il y a une vraie volonté de la part des femmes et des hommes de faire disparaître les mots homophobes et sexistes de notre vocabulaire et de faire en sorte que tout le monde se sente bien et en sécurité en tribune.

« Il y a une sorte de charte tacite qui nous relie toutes et tous dès lors qu’on entre dans la tribune Rino Della Negra : c’est l’antiracisme et l’anti-fascisme. »

Concrètement, c’est quoi d’être un supporter de gauche ?  

C’est quelqu’un qui, comme un supporter de droite, est d’abord passionné par le football et par son club. Si je prends les supporters de l’AS Nancy par exemple, je pense que la différence pendant les matchs se situe principalement dans le choix des chants et des messages qu’on inscrit sur les banderoles. Car l'essentiel reste d’être supporter, de s’unir et d’essayer de faire public, avant même d’être de gauche ou de droite. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a généralement du respect mutuels entre groupes d’ultras. Car avant toute chose, nous sommes des supporters heureux d’accueillir d’autres supporters qui vivent les mêmes galères que nous, comme se taper six heures de bus pour aller voir des matchs sous la pluie des soirs de décembre.

Par contre, en marge des matchs, oui, la donne change un peu. Pendant les mi-temps, par exemple, les Red Star Fans organisent régulièrement des collectes pour venir en aide à des associations locales qui œuvrent auprès de migrants ou de femmes isolées. Ils organisent aussi parfois des mobilisations ponctuelles, les dernières ayant été contre la loi Immigration et la réforme des retraites, etc. Cependant, il faut vraiment distinguer l’aspect politique de l’aspect partisan, car les ultras font extrêmement attention, lors des interviews et des séances photo, à ne rien dire ou faire qui pourrait être récupéré politiquement par le PS ou LFI. Car il sont nombreux les élus locaux, qui essayent de surfer sur la hype du Red Star pour se valoriser…

Selon toi, d'où vient l’originalité du Red Star ?

Clairement, l’originalité du Red Star ne vient pas des résultats sportifs, car de ce point de vue-là, c'est toujours sensiblement la même chose : nous n’avons jamais été une équipe de Galactics (rires).

Mais justement, c’est peut-être notre petite « médiocrité sportive » qui nous rend si originaux. Parce que, si l’on jouait en Ligue 1 ou en Ligue des Champions, il est fort probable que l’on perdrait des choses auxquelles on tient fortement dans le club. Nos abonnements abordables, le fait qu’il n’y ait pas trop de flics les soirs de match, notre liberté en tribune vis à vis des messages que l’on envoie et qui ne sont vu par personne d’autres que par nous, etc. Ca peut paraître schizophrène pour quelqu’un qui aime le foot, mais ce manque d’éclat sportif ne me déplaît pas tant que ça, car en tant que supporter, c'est peut-être grâce à elle qu’on arrive à conserver notre originalité.

Il est courant de voir dans les médias, des supporters tenir des propos virulents à l'égard de leur équipe après une défaite. Est-ce également votre cas, ou les résultats ne sont finalement pas si importants ?

Je pense que ça dépend des supporters. Si tu interroges les habitués situés en bas de la tribune, alors oui, pour eux, les résultats comptent. Ils sont intransigeants et un peu râleurs quand l’équipe est nulle. Par contre, ça ne les empêchera jamais de chanter, d'applaudir et d'encourager les joueurs. En ce moment, par exemple, il y a un peu de remous, mais jamais l'idée d'une grève des chants a été évoquée. Au contraire, on applaudit de la première à la dernière minute, on chante fort et on chante ensemble !

En revanche, il nous arrive de voir des gens de l’autre côté du spectre : des personnes qui, à la fin des matchs, n’ont aucune idée du score, car iels viennent avant tout au stade comme iels iraient en before, pour l’ambiance et instagram. Et le problème, c’est que ça crée des tensions, car ce sont souvent des gens qui ne respectent pas les codes des ultras. Je pense notamment à une campagne marketing de 2017-2018 dont le message était : « venez vivre la culture foot populaire au Red Star, mais en consommant », qui avait attiré de nombreuses personnes un peu j'm'en foutiste, qui, parce qu’elles avaient payé, se permettaient de faire un peu n’importe quoi. Il a donc fallu que les Red Star Fans fassent un gros travail de sensibilisation pour expliquer en quoi la tribune Rino Della Negra est spéciale et que s’y installer signifie respecter la culture et jouer le jeu, en participant aux animations, en levant les bâches, etc.

« Ils sont nombreux les élus locaux, qui essayent de surfer sur la hype du Red Star pour se valoriser… »

Tu parles de culture des ultras, mais quelle est-elle ? Peux-tu donner un exemple ?

L’anonymat est par exemple extrêmement important pour les ultras, car il leur permet de se protéger lorsqu’ils font des actions un peu limites. C’est pour cette raison, par exemple, que beaucoup d’entre eux ont des pseudos, que l'on demande en tribune de ne pas sortir son téléphone, ou que j’ai anonymisé l’ensemble des personnages de ma bande dessinée, à l'exception de Darch. Car il y a vraiment cette volonté d’être filmé le moins possible, en dehors des caméras qui sont déjà partout dans les stades.

Comment est perçu l’engagement politique des supporter·ices par les joueurs ? Se sentent-ils concernés par vos actions ?

Non, car même en Ligue 2, on reste dans le milieu du football professionnel. Les joueurs lissent déjà leur communication pour rester dans les rangs. Cependant, ce n’est pas parce qu’ils ne s’engagent pas publiquement sur nos actions, qu'ils n'ont pas d’opinion sur les sujets qu’on défend. Il y a quand même un lien qui se crée entre eux et nous. Ils viennent nous motiver, fêter des victoires, etc. Ce n’est pas hermétique. Par contre, si tu souhaites voir du football militant en Île-de-France, clairement, ce n’est pas vers le Red Star qu’il faut se tourner, mais plutôt vers des clubs amateurs comme Les Dégommeuses ou Melting Passes, qui eux, prennent position et se revendiquent militant, sur le terrain ET dans les tribunes.

Le média Street Press a récemment publié des enquêtes sur les liens qu’entretiennent des groupes d’ultras avec l’extrême droite. Est-ce un sujet que vous évoquez entre vous ?

Oui, on en parle, car malheureusement les idées d’extrême droite se diffusent partout, y compris dans les stades. Cependant, je ne pense pas qu’il y ait plus de fachos dans les stades qu’ailleurs, car les stades ne sont finalement qu’un reflet de la société. Après, c’est sûr qu’il y a des clubs que je déteste à cause de ça particulièrement, comme le Paris FC. Mais de l’endroit où je me situe, ce que je constate, c’est que chaque club a sa propre politique sur le sujet et ce n'est pas forcément intuitif. Les Magic Fans de Saint-Étienne, qui sont un groupe d'ultras très ancien et important du stade Geoffroy-Guichard, accueillent des Fafs chez eux, car ils se revendiquent « apolitiques », alors qu’à Bordeaux, ville plutôt bourgeoise et de droite, il y a une culture antifasciste.

Selon moi, dès qu’une action à caractère raciste se produit en tribune, comme par exemple l’imitation de cris de singes, il ne devrait y avoir qu’une seule réponse, et elle ne devrait venir ni des tribunes, ni des dirigeants, ni des arbitres, mais des joueurs. J’aimerais qu’ils se montrent tous solidaires et stoppent le match. Vestiaire ! Cela serait beaucoup plus efficace que des fermetures administratives et ponctuelles de tribune. Mais pour cela, encore faudrait-il avoir moins de pression de la part des diffuseurs, qui eux, ont des enjeux économiques.

Les Red Star Fans ont-ils de l'influence sur la gestion de l'équipe ?

Ils aimeraient en avoir, mais selon moi, ils n'en ont ni plus ni moins que dans les autres clubs où les supporters revendiquent d’être pris en considération. C'est regrettable, mais les relations avec le président Patrice Haddad sont tellement exécrables qu’il n’y a pas de dialogue possible. Il déteste les ultras et souhaiterait les remplacer par un public de consommateurs docile sur lequel il aurait la mainmise. Le seul moment où il y a eu un vrai dialogue, c’était avec l'architecte concernant la construction du nouveau stade, mais bon, il a fait faillite…

Pour le reste, c’est très utilitariste comme approche. Évidemment, ils apprécient l'ambiance en tribune, car ils peuvent la filmer et développer des outils de communication pour montrer que c’est le feu à Bauer. Mais ça s’arrête là. C’est dommage et on peut le déplorer, mais c’est ça aussi le foot moderne. D'un côté, il y a les clubs qui ont besoin d'argent pour avoir de bonnes équipes. De l’autre, les supporters qui essaient de se préserver du capitalisme et du consumérisme, en conservant leur aspect populaire. La question que je me pose c’est jusqu'où peut-on séparer les tribunes du terrain ?

« Pour moi, les ultras sont un peu les représentants syndicaux des stades. Ce sont ceux qui défendent nos intérêts de supporters »

Justement, pour vous préserver du capitalisme, les Red Star Fans ont développé plusieurs stratégies assez originales que tu relates dans ta bande dessinée. Quelle est l’action la plus badass qu’iels ont faite ?

J’aime beaucoup l’action des lasers dont je parle dans le livre, et qui a été reprise cette saison pour lutter contre BeIN Sports qui voulait nous imposer un calendrier et des horaires un peu farfelus. Le concept est simple : ils utilisent des lasers pour aveugler les caméras et pourrir la diffusion des matchs. C'est non-violent et très efficace puisque les diffuseurs ont tout de suite boudé le stade Bauer, et nous, on a retrouvé nos matchs le week-end. Et sinon, je pense à une action qui a été faite pour un match de Coupe de France où la préfecture avait interdit au Red Star Fans de se déplacer à plus de 150 supporters. Pour dénoncer ça, ils ont organisé une manifestation devant le stade en leur disant que personne ne rentrerait à condition qu’ils y rentrent tous. Et là aussi ça a eu son petit succès puisque c’était tellement ingérable pour les organisateurs que tous les supporters sont entrés.

Je ne sais plus si j’en parle dans la bande dessinée, mais pour moi, les ultras sont un peu les représentants syndicaux des stades. Ce sont ceux qui défendent nos intérêts de supporters, et sans qui, il serait bien difficile de conserver un quelconque aspect populaire du football.

Vent Debout

Vent Debout

Par Clothilde Sauvages

Vent Debout, c’est Clothilde Sauvages et Sylvain Paley. Nous sommes deux sportifs ayant pratiqué la compétition sur les circuits nationaux et internationaux. Tumbling, wakeboard et ski alpin. Mais dans le civil, nous avons d’autres casquettes : Clothilde est entrepreneuse indépendante, journaliste et alumni du collectif Ouishare. Elle passe une grande partie de son temps à monter des projets de société. Sylvain est réalisateur de production audiovisuelle et co-fondateur de Société Nouvelle, un collectif d’indépendants au service de l’intérêt général. Ensemble, nous nous sommes réveillés un matin en se disant qu’il serait intéressant que l’on tente de réunir ces deux facettes de nos vies.

Car dans le « tout est politique » que nous fréquentons au quotidien, le sport fait toujours exception. Pas assez sérieux ou pas assez intello ? On invite rarement les athlètes pour leur demander leur avis sur la réforme des retraites, les violences policières ou le dérèglement climatique.
Et pourtant ils et elles ont des choses à dire. C’est pour les entendre qu’est né Vent Debout.

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