Alors que la date d’anniversaire des JO de Paris 2024 se rapproche, qu’en est-il de l’héritage tant promis ? On fait le point sur la question avec cette carte blanche offerte à Guillaume Dietsch et Jean-Baptiste Guégan, auteurs du livre La France n'est pas un pays de sport ? Ce que le sport dit de notre société (De Boeck Supérieur, le 18 septembre)
Guillaume Dietsch est enseignant en STAPS et Jean-Baptiste Guégan est spécialiste de la géopolitique du sport. Ensemble, ils ont décidé d’unir leurs plumes pour montrer en quoi l’héritage des Jeux de Paris 2024 est une illusion et pourquoi il est urgent de changer de vision pour imaginer des Jeux en 2030 qui « osent », « fondent » et deviennent « un levier d’engagement collectif et partagé ».
Guillaume Dietsch & Jean-Baptiste Guégan
Un an après la fin des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, l’heure du bilan est venue. Les subventions et les moyens ont baissé au ministère des Sports comme au CNOSF. Trop peu de choses ont changé. Pour le monde sportif, des usagers aux clubs, la déception est à la hauteur des promesses. Face à « l’effet JO », la pire des réponses s’impose : l’incapacité à répondre à la demande.
L’héritage était partout. Un an après, les engagements n’ont pas été tenus. Est-ce une surprise ? Depuis plus de vingt ans, l’idée d’héritage est instrumentalisée pour justifier les investissements publics et l’organisation des grands évènements sportifs (GESI). Cette justification à outrance conduit au désenchantement.
L’austérité qui suit chaque olympiade a eu raison de l’héritage promis. Paris 2024 n’a rien à envier à Londres 2012. À peine les Jeux étaient-ils terminés que les dispositifs mis en place se sont arrêtés. Les récentes réductions budgétaires, le gel du plan « 5 000 équipements » ou la fin de programmes comme Terre des Jeux ont douché les espoirs d’un héritage durable.
Un an après la clôture, l’effet JOP semble déjà retombé, laissant clubs, associations et bénévoles face à de nombreux défis. Faute de structures adaptées et d’encadrant·es formé·es, le plus difficile est devant nous. Le modèle français n’est pas en capacité d’accueillir, d’accompagner et de fidéliser ce nouveau public de pratiquant·es et de jeunes qui veulent découvrir le sport.
Les clubs et les écoles, qui sont les premiers relais de la pratique sportive, manquent toujours de moyens pour répondre aux ambitions affichées. Et ce ne sont pas les collectivités locales, également touchées (43 % des collectivités annoncent une diminution du budget sport), qui vont pouvoir soutenir la lutte contre la sédentarité et le développement du sport pour tous.
La baisse des pratiques sportives est un danger qui se profile pour la rentrée de septembre 2025 ! Un vrai dilemme à l’approche des élections municipales.
Mais les principaux perdants de ces promesses non tenues sont ailleurs. Ce sont les populations les plus éloignées, celles qui sont les moins converties. Pour elles, l’héritage a vécu. A-t-il même jamais existé ? Passée la médiatisation des Jeux, l’espoir d’une nation sportive s’est évanoui. L’héritage sportif des Jeux est aujourd’hui un trompe-l’œil plus qu’une réalité.
Paris 2024 s’est transformé en une « parenthèse enchantée » alors qu'elle n’aurait jamais dû être éphémère. Un constat s’impose : les Jeux doivent cesser de promettre !
Tony Estanguet nous avait vendu une « révolution sportive ». Son discours inaugural lors des Jeux paralympiques portait un espoir ambitieux : celui d’un basculement des habitudes sportives des Français, d’une rupture. L’idée était de donner naissance à une société où le sport serait plus inclusif, plus accessible et plus central dans la vie de chacun·e. Il faut lui en être gré mais cela n’a pas suffi. Près d’un an après la fin des Jeux, la révolution annoncée relève davantage de la communication et du souvenir que du sursaut espéré.
La vague olympique n’a pas tout emporté. Le compte n’y est pas. Les inégalités d’accès demeurent. Dans les quartiers populaires comme dans les territoires reculés, les Jeux ont eu un impact hélas trop limité. Pour ce qui est de Paris 2024, les attentes étaient sûrement trop élevées : la place du sport dans la société française n’a pas changé.
Pour autant, il y a eu un héritage. Les terrains de sport promis par le plan « 5 000 équipements » ont été livrés en deux ans. La baignabilité de la Seine, rendue possible pour les épreuves sportives de triathlon puis pour les Francilien·nes dès cette année, constitue un exemple d’héritage écologique durable. La modernisation des transports en Île-de-France ou encore la création du plus grand équipement d’Europe dédié à la pratique inclusive du sport à Bobigny (PRISME), illustrent aussi des avancées concrètes. Le Centre Aquatique Olympique de la Métropole du Grand Paris est l’autre équipement structurant qui augmente l’offre sportive en Seine-Saint-Denis, là où la densité d’infrastructures reste parmi les plus faibles de France. Les Jeux ont suscité une ferveur populaire, montré l’excellence des athlètes français et mis en lumière le rôle central du sport dans nos sociétés. Tout n’est donc pas perdu.
Mais ces réussites, bien que notables, restent minoritaires face à l’ampleur des attentes et des besoins du monde sportif. Depuis, le désengagement des pouvoirs publics, des entreprises et le désintérêt des sponsors contredisent les promesses.
La volonté de faire du sport un pilier de notre société était une bonne idée. Elle s’est confrontée brutalement à la réalité politique et financière de notre pays. En dehors des élections et de l’exposition médiatique, notre personnel politique a montré son opportunisme et son ignorance.
La notion d’héritage, telle qu’elle a été brandie par Paris 2024 mais pas seulement, relève d’une vision descendante. Un héritage ne se décrète pas, il se construit. Pourtant, le modèle actuel promu par le CIO s’obstine à imposer des modèles uniformes, des infrastructures surdimensionnées, des promesses de retombées économiques et sociales rarement tenues et surtout démesurées. Ce modèle olympique produit, malgré les discours, des équipements sous-utilisés, des dettes publiques, des fractures territoriales, et très souvent, des désillusions pour le monde sportif.
L’héritage ne doit plus être l’alibi d’une vitrine internationale ou d’une compétition géopolitique entre villes et nations. Il doit devenir un laboratoire d’expérimentation, un accélérateur de dynamiques locales, un espace de dialogues qui donne le pouvoir d’agir à celles et ceux qui vivent les territoires.
L’héritage des Jeux n’est pas qu’une question de moyens ou de retombées. L’héritage n’est pas ce qu’on laisse, mais ce qu’on engage, ce qu’on déclenche, ce qu’on expérimente aujourd’hui pour demain.
À force de parler d’héritage, nous avons fini par écrire un testament avant même d’avoir vécu l’aventure. La logique du legs, omniprésente dans les discours politiques actuels, transforme les Jeux en succession. On dresse la liste des biens à transmettre, on promet des infrastructures, des retombées, des souvenirs. On promet des Jeux plus « inclusifs », plus « sobres », plus « verts ». Des mots, toujours des mots. Mais qui a dit que l’avenir devait se gérer comme un inventaire après décès ? L’héritage des grands évènements sportifs, conçu comme un testament, fige l’action dans le passé. L’héritage pensé d’en haut n’est qu’une illusion car il n’est pas partagé. Une nouvelle vision doit s’imposer.
Repenser l’héritage est urgent à l’approche des Jeux d’hiver 2030 dans les Alpes françaises. Nous sommes à cinq ans de l'événement. Après Paris, la France s’apprête à accueillir le monde du sport dans un contexte inédit : celui de la montagne en pleine mutation, confrontée à la crise climatique, à la nécessité de sobriété et à la remise en cause du modèle du « tout ski ».
Les organisateurs promettent des Jeux « exemplaires » sur le plan environnemental et financier, avec un budget resserré, une gouvernance partagée et l’ambition de transformer la montagne. La candidature des Alpes 2030 est pourtant des plus politiques. Elle est au service des intérêts de ses initiateurs, Renaud Muselier, Laurent Wauquiez et Christian Estrosi.
L’histoire des Jeux d’hiver dans les Alpes de Chamonix à Grenoble en passant par Albertville invite aussi à la prudence. Trop souvent, l’héritage a rimé avec des infrastructures surdimensionnées, des équipements vite obsolètes, l’artificialisation des sols et une augmentation des dettes publiques. Comme le résume l’universitaire Martin Müller, « organiser les JO dans un monde à +4°C revient à danser sur le Titanic ».
Aujourd’hui, la société civile alerte sur le risque de reproduire les erreurs du passé : absence de consultation, promesses de retombées économiques non tenues, menace sur les milieux naturels, dépendance à la neige de culture, spéculation immobilière... À l’heure où la montagne doit transformer son modèle, l’héritage ne peut plus se résumer à un inventaire d’infrastructures, à du marketing territorial ou à de la communication politique.
Les Jeux de Paris 2024 et des Alpes 2030 sont les deux visages d’un même système qui peine à répondre aux défis contemporains, celui des grands événements sportifs internationaux responsables. Le premier a cherché à se renouveler et s’adapter, l’autre reste l’héritier d’un modèle dépassé et condamné. Encore aujourd’hui, certains pensent que l’on peut faire avec les Alpes 2030 ce que l’on a fait avec Paris 2024. Il n’en sera rien.
Il est temps de sortir de l’impasse de l’héritage impossible. Il est donc urgent de changer de regard sur ce que peut être un grand événement sportif international (GESI). Il est tout autant nécessaire d’en finir avec cette communication et ces mots-valises vides de sens, ces slogans creux. Les Jeux ne doivent plus servir de prétexte. Ils doivent devenir une politique publique au service du bien commun, de l’intérêt général, de toutes les populations, de tous les territoires.
Les grands évènements sportifs doivent devenir le point de départ d’un processus évolutif, où l’on construit ensemble un projet de société, un imaginaire partagé, une dynamique collective : par le sport et pour les populations locales.
Martin Müller démontre dans Nature que l'empreinte écologique moyenne des JO a augmenté de 18 % entre 1992 et 2020, malgré les promesses de durabilité. Pour le chercheur, l’impact environnemental des Jeux pourrait être réduit en diminuant leur taille (moins de spectateurs, d’athlètes, d’entourages), en organisant la compétition dans les mêmes villes hôtes et en confiant l’évaluation de la durabilité de l’évènement à un organisme indépendant.
Pour les Alpes 2030, un changement de paradigme est nécessaire. Cela suppose d’inventer un héritage qui ne soit ni un fardeau, ni un mirage, mais un processus collectif : accompagner la transition de la montagne, soutenir les dynamiques locales, expérimenter de nouveaux usages, de nouvelles gouvernances, et donner la priorité aux besoins des habitant·es et à la préservation des écosystèmes.
Il est donc question d’une autre vision. Changer de paradigme, c’est aussi faire évoluer les imaginaires. Trop longtemps, les Jeux ont été associés au gigantisme, à la compétition entre villes et nations, à la course à la modernité et au rayonnement international. Mais cette logique a montré ses limites. Elle génère trop de gaspillages, de récupérations et de déceptions.
Il est temps de rompre avec la logique des promesses creuses et des héritages inconfortables. Ce que nous attendons désormais, ce sont des Jeux qui laissent une trace effective : celle de politiques publiques audacieuses, d’initiatives locales qui transforment durablement les territoires, d’un engagement collectif qui dépasse le temps de l’événement. C’est la condition pour que les Jeux cessent d’être un fardeau, un prétexte ou une opportunité politique, et deviennent un tremplin pour l’avenir. Expérimenter, c’est accepter le droit à l’erreur, la possibilité de tester des solutions nouvelles et inédites, de valoriser les actions déjà existantes et de pérenniser ce qui fonctionne.
C’est oser des Jeux qui ne lèguent pas, mais qui fondent. Des Jeux qui ne promettent pas, mais qui expérimentent. Des Jeux qui ne s’imposent plus, mais qui s’inventent avec les territoires. C’est à cette condition que les Jeux pourront redevenir ce qu’ils sont, un levier d’engagement collectif et partagé.
Guillaume Dietsch et Jean-Baptiste Guégan
Guillaume Dietsch est enseignant en STAPS, agrégé d’EPS et auteur d'Une histoire politique de l’EPS (2022) et de Les Jeunes et le Sport. Penser la société de demain (2024), parus aux éditions De Boeck Supérieur. Il s’intéresse à la manière dont les pratiques sportives façonnent et reflètent les évolutions sociales, éducatives et culturelles en France.
Jean-Baptiste Guégan est enseignant et spécialiste en géopolitique du sport. Intervenant à SciencesPo Paris, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le sport et ses enjeux comme Géopolitique du sport, une autre explication du monde et Qatar, dominer par le sport, géopolitique d’une ambition chez Bréal Studyrama ou La Guerre du sport, une nouvelle géopolitique chez Tallandier.
Ensemble, ils ont écrit La France n'est pas un pays de sport ? Ce que le sport dit de notre société, dont la parution est prévue le 18 septembre 2025 aux éditions De Boeck Supérieur.