Quand faire du sport devient une forme de résistance.

Rencontre avec Hani Suliman, guide accompagnateur en moyenne montagne Palestinien

Vent Debout
6 min ⋅ 12/07/2025

Hani Suliman est Palestinien. Né dans un petit village près d’Hébron en Cisjordanie, il est aujourd’hui accompagnateur en moyenne montagne en France. Passionné par les sports de plein air, il tisse des liens entre la France et la Palestine à travers ses expéditions Les Sentiers de Palestine. Nous l’avons interrogé pour qu’il nous parle de la Palestine, des pratiques de plein air qui s’y développent et des conséquences de la guerre sur les habitant·es de Cisjordanie.

Peux-tu nous raconter un peu ton parcours et ce qui t’a amené à devenir accompagnateur en moyenne montagne (AMM) en France ?

Je suis né dans une famille de bergers, dans un petit village en Palestine. Derrière la maison, il y avait une falaise, et c’est là que j’ai passé une bonne partie de mon enfance. Très vite, j’ai été attiré par la nature et le sport. Je n'ai jamais aimé rester en ville.

Pour mes études, j'ai commencé par passer un diplôme pour devenir guide touristique en Palestine. C’était intéressant, mais quand j'ai découvert l'existence de centres de formation comme l’AFRAT qui développent des circuits de randonnée, j’ai halluciné ! Je savais que c’était fait pour moi. J’ai donc très vite passé mon diplôme d'accompagnateur en moyenne montagne en Palestine, grâce à cette association française située dans le Vercors. J'ai ensuite continué de me former en écotourisme, tout en travaillant avec l'AFRAT pour développer des sentiers de randonnée en Palestine. Puis, après un certain temps, j'ai eu envie d'apprendre le français. J'ai donc rejoint la France via un volontariat avec l’association France-Palestine et c’est là que j’ai passé mon diplôme d’accompagnateur en moyenne montagne en France. Je suis ainsi devenu le premier - et le seul - AMM palestinien diplômé d’ici.

Tu travailles à créer des ponts entre la France et la Palestine. De quoi s’agit-il exactement ?

Oui, je travaille beaucoup avec des structures françaises comme l’AFRAT et l’agence France voyage, pour développer les activités de pleine nature en Palestine et notamment le VTT, l'escalade, la randonnée, le trail, voire même le parapente et la spéléologie. Car il y a une vraie demande en local et les français ont acquis une certaine expertise sur le sujet. On a par exemple développé un diplôme professionnel pour la randonnée, des formations professionnalisantes pour l’escalade, un super chemin labellisé, avec des points GPS, des hébergements, etc., pour le VTT, ainsi qu'un début de formation pour le trail.

Mais au-delà des formations, ce qui me tient à cœur, c’est de faire découvrir la Palestine aux Français. Leur montrer que ce n’est pas juste un territoire plat et sans montagne comme ils l’imaginent souvent, mais un pays extrêmement varié, avec des montagnes, des forêts, des déserts, une biodiversité incroyable, des cultures multiples…

« Il y a un avant et un après le 7 octobre. Avant, on pouvait aller grimper, randonner, rouler dans pas mal d’endroits »

Ces sports de plein air sont-ils populaires en Palestine ?

Ça dépend lesquels. Pour le trail, on en est encore au tout début. Il y a bien un marathon qui part de Bethléem, mais il n’y a pas encore de compétition de trail. C’est pour ça que j’aimerais en organiser une ; car ça permettrait aux gens de sortir des villes et d’aller en montagne. De même pour la spéléologie : il y a bien quelques bénévoles passionnés qui découvrent des petites grottes, mais ce n'est pas encore très officiel. En revanche, on a beaucoup de monde pour la randonnée, les bivouacs et l'escalade. Nos formations en escalade rassemblent souvent une vingtaine de personnes par session. Il y a un vrai intérêt, notamment pour encadrer ces activités et les rendre accessibles à plus de monde.

J’imagine que la guerre a tout chamboulé. Qu’est-ce qui a changé ?

Clairement, il y a un avant et un après le 7 octobre. Avant, on pouvait aller grimper, randonner, rouler dans pas mal d’endroits. Mais depuis le 7 octobre, la situation en Cisjordanie s’est transformée. Les colons sont devenus beaucoup plus violents, les soldats plus présents, et certains coins sont désormais interdits ou trop dangereux. Résultat : beaucoup d’activités sont annulées, car même si les gens en ont envie, iels ont peur. En escalade, là où on faisait avant 5 à 10 voies en falaise, on n’en fait plus que deux ou trois. En VTT, il a fallu revoir tous les itinéraires pour éviter de passer à proximité des camps militaires et tout est devenu plus compliqué. Par exemple, alors qu’avant il fallait trois heures maximum pour parcourir les 150 kilomètres qui séparent Jénine d'Hébron. Aujourd'hui, il faut compter un jour et demi, à cause des contrôles. Donc si tu habites un peu loin, c’est foutu. Dès que la nuit tombe, c’est trop risqué.

Mais malgré tout, les gens s'adaptent. Ils continuent, même si cela signifie devoir grimper l’exact même falaise pendant un an et demi.

Comment expliques-tu cette détermination des Palestinien·nes à continuer coûte que coûte de pratiquer ces activités, malgré les risques ?

En fait, même si c’est la même routine, pratiquer l'une de ces activités permet de sortir de chez soi, de croiser ses amis, de partager un moment ensemble et de s'extraire du stress permanent de la guerre. Cela aide à tenir et à garder un semblant de rythme de vie « normal ». Donc oui, les gens s'adaptent, car c’est une forme de résistance. C’est pas juste du sport, c’est une façon de dire : « On est encore là. On vit. »

« Les gens s'adaptent, car c’est une forme de résistance. C’est pas juste du sport, c’est une façon de dire : « On est encore là. On vit. »

Tu parlais des transformations depuis le 7 octobre, mais comment était la situation avant ? Y avait-il déjà des conséquences de la politique coloniale d'Israël sur les pratiques sportives en Cisjordanie ?

Oui, bien sûr, mais disons qu’avant, quand tu pratiquais, tu avais 20 % de chance de te faire contrôler, et ça pouvait monter à 30-40 % à certains endroits. Et si tu te faisais contrôler, tu pouvais discuter et négocier avec les soldats. Alors que maintenant, on est plutôt sur du 80 % de chances de se faire contrôler, et il n’est plus question de négocier. C'est impossible, car les soldats peuvent te tirer dessus sans avoir de comptes à rendre, tout comme les colons d’ailleurs.

Comment gardes-tu espoir face à l'horreur de ce génocide ?

Ce qui me permet de tenir, c'est de voir que les choses continuent d'avancer. On n’a pas le choix. Nous sommes des résistants. Nous devons nous battre pour notre liberté, notre territoire, notre nationalité et même pour notre existence. Parce qu'avant 1948, on existait déjà. On avait une équipe nationale, une vie culturelle, une présence sur les cartes géographiques et politiques. Alors oui, aujourd'hui, on est obligé de nous battre pour simplement affirmer notre existence, mais nous devons le faire. Nous devons montrer au monde que nous existons aujourd’hui et que nous serons toujours là demain.

C'est pour cette raison qu'il est important pour moi de parler de la Palestine aux Français. Je veux montrer qu'en Palestine, il n'y a pas que des hommes qui vont travailler et des femmes qui restent à la maison pour faire le ménage. Ça c’est n’importe quoi ! Nous aussi, on fait de la rando, du VTT, de la spéléo. Et pas seulement les hommes. Il y a aussi des femmes guides, qui emmènent des groupes seules dans le désert. Le film Resistance Climbing le montre très bien d'ailleurs. À chaque fois que je le diffuse, les gens sont surpris de découvrir que de telles choses existent en Palestine. Rien que pour ça, je me dis qu'il faut continuer. Continuer de montrer qu’on est là. Et que ça vaut le coup de se battre pour notre liberté et pour notre culture.

« Nous sommes des résistants. Nous devons nous battre pour notre liberté, notre territoire, notre nationalité et même pour notre existence »

https://watch.reelrocktour.com/videos/rr17-resistanceclimbinghttps://watch.reelrocktour.com/videos/rr17-resistanceclimbing

Comment as-tu été accueilli à Chamonix lorsque tu t'y es rendu pour suivre ta formation ?

La première fois, les gens m’ont bien fait sentir que j’étais arabe, et par extension, que je ne devais pas y connaître grand-chose à la montagne. Mais maintenant que j’ai le même diplôme qu’eux, ça s’est un peu calmé. Aussi, dès mon arrivé à Chamonix, j’ai décidé de partir grimper le sommet du Mont Blanc, seul, à la journée, sans rien y connaître à l’alpinisme. Et le fait que je fasse ça, mine de rien, ça m’a un peu légitimé aux yeux des locaux.

As-tu un rêve pour le futur proche ?

Mon rêve, c’est vraiment d’arriver à développer toutes ces activités de montagne en Palestine - la randonnée, le VTT, l’escalade, la spéléo, le canyoning, etc.- pour pouvoir montrer l'histoire et la richesse de la Palestine à l'étranger, et permettre à tous les Palestinien·nes qui le souhaitent de pouvoir aussi en profiter.

Surtout qu’en développant ces activités sportives, je suis convaincu qu’on arriverait à mieux protéger la nature de chez nous. Car pour moi, par exemple, ça a été un révélateur. C’est grâce à ma formation que j’ai pris conscience de l’importance de protéger la nature, de ne pas y jeter de déchets, etc. Alors qu’avant je ne me souciais pas du tout de cet aspect-là.

« Mon grand-père était résistant, il a passé huit ans caché dans une montagne qui l’a protégé »

Pour conclure, peux-tu nous décrire les montagnes de Palestine et nous dire ce qu’elles représentent pour toi ?

Pour moi, les montagnes de Palestine sont incroyables car, elles sont ce qui représentent le mieux nos différentes cultures et savoir-faire artisanaux. Si tu vas dans le désert ou sur l’un des plateaux, tu n’y découvrira pas la même chose. De même entre les montagnes du nord et celles du sud. C’est comme si chaque montagne avait son propre artisanat, sa propre cuisine, son agriculture et son histoire. C'est pour cette raison qu'elles sont extraordinaires.

Quant à ce qu’elles représentent, c’est simple. Pour moi elles incarnent la vie et les valeurs des résistants palestiniens. Parce que mon grand-père était résistant et qu’il a passé huit ans de sa vie caché dans une montagne qui l’a protégé.

Comment faire abstraction face à l’horreur de ce qui se passe à Gaza ? Comment parler de sport alors que, sous nos yeux, se déroule depuis des mois, en silence, la mise à mort d’un monde : celui des Gazaouis ? Où chaque jour, enfants, femmes et hommes, sont assassinés quasiment en direct par l’armée israélienne. Cette réalité nous est insupportable. Nous ne minimisons pas l’horreur des événements du 7 octobre 2023. Mais cette politique de destruction coloniale menée par Israël et légitimé par notre gouvernement nous est intolérable. Elle nous donne envie de parler ; car ne rien dire, c’est prendre position.

Génocide.
Osons mettre les mots justes sur ce qu’il se passe à Gaza.

Même au milieu de l’obscurité, quelques lumières nous redonnent foi en l’humanité. C’est le cas d’Hani Suliman, que nous avons rencontré lors de cette interview. Mais aussi du courage de l’équipage de la Flottille de la Liberté qui a tenté de mettre fin au blocus illégal, de la dignité des dockers de Fos-sur-Mer qui ont refusé de charger du matériel militaire français à destination d’Israël. De la banderole « STOP GÉNOCIDE À GAZA » déployée par les supporters du Collectif Ultras Paris (CUP) lors de la finale de la Ligue des champions à Munich, ou encore de l’Irlandais Paddy McCorry qui, après sa victoire en MMA contre son adversaire israélien, a brandi un drapeau palestinien en criant : « Free Palestine ».

Merci à eux. Merci de nous lire,
Clothilde et Sylvain

Vent Debout

Vent Debout

Par Clothilde Sauvages

Vent Debout, c’est Clothilde Sauvages et Sylvain Paley. Nous sommes deux sportifs ayant pratiqué la compétition sur les circuits nationaux et internationaux. Tumbling, wakeboard et ski alpin. Mais dans le civil, nous avons d’autres casquettes : Clothilde est entrepreneuse indépendante, journaliste et alumni du collectif Ouishare. Elle passe une grande partie de son temps à monter des projets de société. Sylvain est réalisateur de production audiovisuelle et co-fondateur de Société Nouvelle, un collectif d’indépendants au service de l’intérêt général. Ensemble, nous nous sommes réveillés un matin en se disant qu’il serait intéressant que l’on tente de réunir ces deux facettes de nos vies.

Car dans le « tout est politique » que nous fréquentons au quotidien, le sport fait toujours exception. Pas assez sérieux ou pas assez intello ? On invite rarement les athlètes pour leur demander leur avis sur la réforme des retraites, les violences policières ou le dérèglement climatique.
Et pourtant ils et elles ont des choses à dire. C’est pour les entendre qu’est né Vent Debout.

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