Danser pour lutter contre l'exclusion

Rencontre avec Pauline Terestchenko, cofondatrice de S.W.A.G Studio

Vent Debout
6 min ⋅ 19/05/2025

Le 24 mai prochain, l’événement S.W.A.G Outside se tiendra à Paris. Ce festival artistique et militant aborde la question de l’accueil des étrangers en France, en faisant de la danse un outil politique. Il est organisé par S.W.A.G Studio, un studio de danse pas tout à fait comme les autres, dont la notion d’émancipation est au cœur du projet. Forcément, cette initiative (qu’on connaissait déjà un peu) a attiré notre attention, étant donné qu’on vous parle beaucoup d’émancipation ces derniers temps. Nous avons donc saisi la balle au bond pour interroger Pauline Terestchenko, la cofondatrice du studio, pour qu’elle nous aide à comprendre en quoi la danse peut concrètement aider à s’émanciper.

S.W.A.G Studio, c’est quoi exactement ?

Il s'agit d'un projet hybride qui comprend une école de danses urbaines dédiée à l'accueil de danseurs·ses étranger·e·s et primo-arrivants et qui se donne une double mission : celle de rendre visibles ces danseur·ses et de les aider à se stabiliser professionnellement en leur permettant d’enseigner dans l'une de nos deux écoles, à Paris ou Marseille, tout en les accompagnant aussi dans les défis auxquels iels sont confronté·es en arrivant en France.

Le second volet qu’on développe est la démocratisation de l'apprentissage des danses urbaines à un public de non initiés. Parce qu’on remarque qu’en France, il y a de nombreuses croyances limitantes par rapport à la danse, du fait notamment que notre société n’est clairement pas une société qui danse. Ça ne fait pas partie de notre culture ni de notre patrimoine. Par conséquent, on imagine souvent que pour danser, il faut avoir commencé jeune, être très fort ou légitime. Alors que c’est complètement faux. La danse, c’est quelque chose qui appartient à tout le monde. Et c’est pourquoi on essaie de sortir de cet aspect un peu compétitif et intimidant pour rendre la danse accessible et inclusive.

L’inclusivité est souvent un bel idéal. Qu’est-ce qui, chez vous, permet de le concrétiser ?

Je crois que la première des raisons est inhérente aux danses urbaines. À l'origine, ce sont des pratiques qui ne s'enseignent pas dans des écoles ou des studios de danse, mais dans la rue, au sein de communautés. Elles sont donc historiquement et par nature ouvertes, populaires et peu normées.

Cependant, leur transmission au grand public est restreinte, car cet univers impressionne et fait peur. Ces danses sont souvent vues à travers le prisme de la performance et sont régies par un ensemble de codes, comme l'importance de la hiérarchie, des OG (Old Generation), la validation par ses pairs, ainsi que des questions légitimes pour le respect de ces cultures. Tout un ensemble de choses qui, en même temps, les sacralisent et les rendent difficiles d'accès. C'est pourquoi nous avons choisi de mettre l'accent sur le lien social, la capacité à s’émanciper et à fédérer que permet la danse. Et nous répétons également qu’il n’y a pas besoin d’être danseur pour danser. Danser est un pouvoir qui nous appartient à toutes et à tous.

« Il n’y a pas besoin d’être danseur pour danser. Danser est un pouvoir qui nous appartient à toutes et tous »

Concrètement, il se passe quoi quand on vient danser chez S.W.A.G Studio ?

Je crois que chez nous, il y a une vraie obsession à vouloir transmettre la danse comme un outil de cohésion. Ce n’est pas juste un concept abstrait, mais quelque chose qu'on cultive quotidiennement et qui se traduit notamment dans l’accueil des nouvelles personnes. On s’assure vraiment qu’elles se sentent bien et qu’elles ne restent pas isolées. Nos professeurs jouent un rôle essentiel pour instaurer et incarner un climat et un état d’esprit d'accueil, de non-jugement et de convivialité.

Peux-tu nous décrire le caractère émancipateur que la danse peut avoir ?

La danse est un moyen extraordinaire d’acceptation de son corps. Or, je crois que lorsqu’on change son rapport à son corps, on change également son rapport au monde. Pour te donner un exemple, dans le waacking notamment, il y a beaucoup cette dimension de jeu avec des personnages, des trucs de posing et de drama où l'on surjoue les codes des divas hollywoodiennes des années 50. Typiquement, dès lors que tu arrives à t'approprier ces personnages et à t’autoriser à lâcher prise, je crois que ça te permet de dédramatiser pas mal de choses. Ça permet d'accepter beaucoup plus facilement des aspects de soi qu’on n'ose pas toujours montrer et de prendre confiance en soi.

« La danse pour nous n’est pas un divertissement, pas une performance, pas une compétition. Elle est un outil politique dont nous pouvons tous nous emparer pour nous émanciper individuellement et collectivement. »

Extrait du manifeste de S.W.A.G Studio

On aime beaucoup votre manifeste. C’était important pour vous de l’écrire et de revendiquer le caractère politique de la danse ?

Oui, c’était hyper important, car on ne se voit pas comme un simple studio de danse dans la mesure où l’ensemble de nos actions visent avant tout à répondre à ce manifeste. Quant à l’aspect politique de la danse, on souhaitait en effet l’affirmer. Montrer que la danse permet de créer des espaces sociaux différents de ceux dans lesquels on interagit habituellement. Car pour danser, tu n’as pas besoin d’étiquette, ou de savoir ce que les autres font dans la vie. C’est un vecteur de lien entre des personnes très différentes qui n'interagiraient jamais de la même manière si elles communiquaient par le langage. C’est pour cette raison qu’elle est politique. Parce qu'en fin de compte, elle représente un espace apolitique dans lequel des personnes très différentes se retrouvent et interagissent ensemble, en s'émancipant des divisions politiques qui les séparent habituellement.

Et puis la danse est aussi politique, parce qu’elle permet de libérer les corps. Arié Alimi, un avocat, Vice-Président de la Ligue des droits de l’homme très engagé sur les questions des violences policières, a fait un discours qui m’a beaucoup marqué pendant l’édition marseillaise de S.W.A.G Outside. Selon lui, les concepts de carte d'identité, de frontières, etc, sont des inventions humaines, des barrières mentales qui ont été construites par l’État afin de mieux contrôler les corps. Et la première façon de s'en libérer, c'est par la danse.

Au-delà du studio, vous organisez également le festival S.W.A.G Outside, que tu viens de mentionner et qui revendique de danser contre l’exclusion. Est-ce que tu peux nous en parler ?  

Oui, l’aspect événementiel, c’est notre dernier volet. Parfois, on crée des événements pour des institutions, des festivals, des entreprises, etc., et parfois, on les organise nous même pour diffuser un message d'accueil et prendre position par rapport aux politiques migratoires françaises et européennes. Et ça, c’est S.W.A.G Outside : un événement durant lequel on rassemble une partie des acteurs qui travaillent sur la défense des droits des étrangers en mettant la danse au cœur du rassemblement. Concrètement, c'est un événement annuel en plein air, festif et engagé, où l’on propose des shows, des ateliers, un village associatif, des DJ sets, des prises de parole… L’ensemble dans le but de permettre au public de repartir mieux informé sur les réalités migratoires et avec des clés pour s'engager et se mobiliser sur le sujet. C’est notre manière concrète de faire exister la danse comme un objet politique et la prochaine édition est prévue le 24 mai à Paris.

En parlant de contexte migratoire, tu te sens comment actuellement ?

Franchement, je flippe… Et pourtant je ne suis pas menacée. J’ai le sentiment qu’on n’est pas prêt de sortir de cette période compliquée et qu'il faut qu'on s'arme pour se défendre face aux discriminations toujours plus grandes. Et pour l'instant, la meilleure arme qu'on a trouvée pour faire face à l'extrême droite et la peur de l'autre. Celle qu’on souhaite défendre et qu’on trouve efficace et porteuse de sens, c'est le fait de danser ensemble. De vivre quelque chose dehors, dans l’espace public, avec des gens qu’on ne connaît pas ; de donner la parole à des associations comme SOS Méditerranée, Utopia 56 et toutes ces structures qui vivent ce combat au premier plan. J’aimerais vraiment qu’il puisse y avoir des événements de ce type sur tout le territoire, dans les zones rurales et périurbaines. Parce qu'il faut vraiment qu'on arrive à trouver des façons d'être ensemble et de visibiliser la migration différemment. 2027, c’est demain.

« La meilleure arme qu'on a trouvée pour faire face à l'extrême droite et la peur de l'autre, c'est le fait de danser ensemble »

Te semble t-il absurde d'associer la danse à une pratique sportive ?

Non, je ne crois pas. Cependant, je la caractérise plus comme une pratique artistique et sociale que sportive. Car le mot « sport » m’évoque avant tout les termes de performance et de compétition, qui ne me parlent pas forcément. Ce n’est pas ma culture. Je n’ai jamais appris à aimer le sport, alors que j'ai appris à aimer la danse. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais pour moi, la danse est un sport avec un supplément d'âme, qui permet finalement de s'extraire de la dimension sportive.

« Ce n'est pas à l'État de décider de qui a le droit ou non d’enseigner ces cultures urbaines »

Étais-tu favorable à l’introduction du breakdance aux JOP de Paris 2024 ?

Ma réponse est ambivalente car, d’un côté, j’ai trouvé ça super que cette discipline puisse être valorisée comme une discipline sportive de haut niveau et qu’on l'ait envisagée comme quelque chose d'incroyable à regarder. Cependant, et c’est là où je nuance mon propos, je n’y étais plus favorable dès lors que cette mise en avant a servi à justifier des propositions comme le projet de loi 1149 pour tenter d’encadrer ces pratiques. Car on aura beau mettre toutes ces pratiques urbaines aux JOP, elles ne colleront jamais avec le cadre institutionnel que cela représente. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’idée de créer un diplôme d'État pour les professeur·es de danses urbaines a provoqué un tollé dans le milieu. N’oublions pas que ces pratiques nous viennent de communautés qui les ont créées. Elles ne nous appartiennent pas. Ce n'est donc clairement pas à l'État de décider de qui a le droit ou non de les enseigner.

Pour participer à la prochaine édition de S.W.A.G Outside prévue le 24 mai prochain, c’est par ici

Vent Debout

Vent Debout

Par Clothilde Sauvages

Vent Debout, c’est Clothilde Sauvages et Sylvain Paley. Nous sommes deux sportifs ayant pratiqué la compétition sur les circuits nationaux et internationaux. Tumbling, wakeboard et ski alpin. Mais dans le civil, nous avons d’autres casquettes : Clothilde est entrepreneuse indépendante, journaliste et alumni du collectif Ouishare. Elle passe une grande partie de son temps à monter des projets de société. Sylvain est réalisateur de production audiovisuelle et co-fondateur de Société Nouvelle, un collectif d’indépendants au service de l’intérêt général. Ensemble, nous nous sommes réveillés un matin en se disant qu’il serait intéressant que l’on tente de réunir ces deux facettes de nos vies.

Car dans le « tout est politique » que nous fréquentons au quotidien, le sport fait toujours exception. Pas assez sérieux ou pas assez intello ? On invite rarement les athlètes pour leur demander leur avis sur la réforme des retraites, les violences policières ou le dérèglement climatique.
Et pourtant ils et elles ont des choses à dire. C’est pour les entendre qu’est né Vent Debout.

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