Ça suffit ! Carte Blanche à Béatrice Barbusse

Alors que les président·e·s des fédérations sportives olympiques et paralympiques viennent d'être élu·e·s, nous avons souhaité offrir à Béatrice Barbusse une carte blanche pour commenter les résultats. Béatrice est sociologue, vice-présidente de la Fédération Française de Handball et autrice du livre : Du sexisme dans le sport.

Vent Debout
4 min ⋅ 31/01/2025

Béatrice BarbusseBéatrice Barbusse

Ça suffit !

Les dernières élections pour élire les président.e.s de fédérations sportives olympiques et paralympiques d’été ont eu lieu. Au total, ce sont 38 président.e.s qui ont été élu.e.s pour 4 ans. A la précédente mandature (2020-2024), on comptait 3 femmes présidentes soit 7,8% d’entre eux. À partir de 2024 elles ne seront plus que 2 soit 5,55% dont une en co-présidence aux côtés d’un homme. Et oui, non seulement elles ne sont pas nombreuses mais leur nombre baisse !!! Et que dire du fait que tous ces présidents sont des hommes blancs plutôt âgés et issus d’une classe sociale favorisée.

2024 marquera donc l’année d’un recul qui pourrait étonner tant on entend dans le sport depuis ces dernières années de beaux discours sur la féminisation, la mixité, la parité ou l’égalité des sexes. Il y a même la loi du 2 mars 2022 qui impose la parité au niveau des instances fédérales. Mais force est de constater que dans le sport, le pouvoir ultime reste ultra-dominé par le sexe masculin. « La parité s’arrête là où le pouvoir commence » nous prévenait l’anthropologue Françoise Héritier. Et comme le soulignait en 2023 l’INJEP dans un article à propos d’une enquête de l’INSEE sur la présidence des associations, « le sport est un des domaines d’activité les plus éloignés de la parité dans les fonctions dirigeantes ». Et puis la parité ne signifie pas l’égalité. Tout se passe dans le sport au fond comme si le plafond de verre était en fait en béton.

« Tout se passe dans le sport au fond comme si le plafond de verre était en fait en béton »

Or un nombre plus important de femmes au plus haut sommet des organisations sportives pourrait accentuer la prise en compte d’une culture de l’éthique, asseoir une gouvernance plus démocratique, permettre des politiques plus ambitieuses de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, contre toutes les formes de discrimination et bien sûr améliorer à tous les niveaux la place des femmes dans le milieu sportif. Non que les femmes soient plus vertueuses par nature que les hommes, mais parce qu’elles sont plus sensibilisées à toutes ces questions dont elles sont les premières à subir les conséquences négatives.

Alors bien sûr, on entend « Elles n’ont qu’à se présenter » ou « Ce n’est pas de notre faute mais elles n’osent pas ». « Oser », voilà le leitmotiv qui est répété sans fin aux femmes et qui d’ailleurs peut même prendre la forme de dispositifs. Mais jamais LA question essentielle n’est posée : pour quelles raisons n’osent-elles pas ? Car comme le remarque la sociologue Anabelle Caprais dans sa thèse sur la féminisation des fédérations nationales sportives, « il est toujours plus facile de mettre en lumière les logiques et mesures qui tendent à s’inscrire dans une visée égalitariste que de déceler celles, plus souterraines, qui les freinent. »

« (…) jamais LA question essentielle n’est posée : pour quelles raisons n’osent-elles pas ? »

Alors parlons-en des raisons plus souterraines, celles que l’on veut taire ou que l’on ne veut pas voir mais qui pourtant sont le ciment du plafond de béton auquel se heurtent les femmes dans le sport. Un être humain normalement constitué oserait-il s’aventurer dans un univers où tout lui est défavorable ? Où les pratiques de cumul des mandats des hommes ne laissent pas ou peu de places aux femmes et leur permettent à eux de s’enraciner un peu plus ce qui in fine les placent en pole position pour apparaître l’élu idéal et évident ? Où les processus de sélection-détection se font essentiellement dans les coulisses et les couloirs où les hommes sont ultra majoritaires et où les femmes sont donc disqualifiées par avance ? Où les processus informels de cooptation, de réseautage et les jeux d’influence se font sans elles ? Où se forment de véritables « clans-cliques internes » masculins qui se constituent au fil des années et qui décident de ceux qui pourront prétendre se présenter ? Où le contexte sexiste et viriliste en fait un espace particulièrement inconfortable pour une femme ? Qui souhaiterait se risquer dans un univers où les paroles et les comportements vous dévalorisent sans cesse simplement parce que vous êtes une femme ? Qui aurait envie de se frotter à un environnement qui n’est pas fait pour vous et qui vous le fait savoir en permanence dans sa façon de fonctionner et dans les rapports interpersonnels qui s’y jouent ?

Voilà les questions qu’il faut avoir le courage de se poser pour qu’il y ait davantage de femmes présidentes de fédérations et arrêter de culpabiliser encore et toujours les femmes de leur absence ou penser naïvement qu’une loi va tout changer comme celle du 2 mars 2022. Il faut aller plus loin. Tant que certains hommes ne laisseront pas davantage de places aux femmes au sein des organisations sportives, tant qu’elles seront enfermées dans des domaines considérées comme relevant du genre féminin (éducation, jeunesse, intégrité, lutte contre les violences, féminisation, développement du sport para…), tant que les règles organisationnelles seront décidées par des hommes, on fera les mêmes constats.

« Tant que certains hommes ne laisseront pas davantage de places aux femmes au sein des organisations sportives (…) on fera les mêmes constats »

Il est temps d’ouvrir les yeux et de dire les choses telles qu’elles sont et telles qu’elles sont vécues par les femmes qui « osent ».

Mesdames, il est temps de dire haut et fort les souffrances ressenties, les fatigues de toujours devoir faire les preuves de sa légitimité et de ses compétences là où les hommes profitent plutôt d’un a-priori de légitimité et de compétences. Au-delà des disciplines sportives, il est temps de faire preuve également de sororité. Quand Sarah Ourahmoune retire sa candidature à la présidence de la boxe car elle a reçu des insultes racistes et sexistes et que cela est allé beaucoup trop loin, toutes les femmes de sport auraient dû se lever et lui apporter un soutien public.

Messieurs, il est temps de passer aux actes et de faire un peu de place à vos égales en les associant réellement aux décisions et pas seulement à celles qui ne vous intéressent pas car elles ne sont pas valorisantes, en les faisant entrer dans vos cercles informels, en ne briguant pas certaines fonctions volontairement et surtout en les considérant réellement comme vos égales….

Au fond, et si nous renversions l’injonction ! « Osez Messieurs ! »

« Osez » faire de la place aux femmes ! « Osez » laisser votre place ! « Osez » construire avec elles un sport égalitaire ! « Osez » aligner vos actes sur vos discours en faveur de l’égalité ! « Osez » tout simplement.


Béatrice Barbusse

Vent Debout

Vent Debout

Par Clothilde Sauvages

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